Daina Chaviano, dans L’Île des amours éternelles, roman flamboyant et sombre où la musique tient un rôle déterminant, incarne Ernesto Lecuona, figure centrale de la vie musicale cubaine. C’était enfin rendre hommage non seulement au pianiste virtuose, à l’animateur des fameux Cuban Boys qui avant la Première Guerre mondiale mirent le feu aux dancings de New York et de Paris, à l’auteur d’une dizaine de zarzuelas qui revivifièrent le répertoire lyrique national, mais aussi révéler cet homme secret, réservé, dont l’œuvre de piano entre rêves et introspection, est bien plus proche des journaux intimes de Mompou que des brillants divertissements de clavier d’autres auteurs sud-américains.

Comme si dès les années vingt, Ernesto Lecuona avait compris qu’il mourrait en exil, ce qui advint le 29 novembre 1963 à Santa Cruz de Tenerife, plus proche de cette Afrique qui lui inspira son plus célèbre recueil pianistique, ces Danzas Afrocubanas que Marcos Madrigal inclut dans son voyage poétique. Il les joue comme personne avant lui, leur refusant le brio dont les piquait avec aplomb Juana Zayas, les murmurant dans des couleurs diffuses.

Ce chic pianistique sans appui, aux timbres subtilement réglés, fait merveille dans la grande Suite Andalucia qui émerveilla Ravel : Lecuona y résume tout ce que Joaquin Nin lui aura appris et place son œuvre dans le sillage de celle d’Albéniz, en la concluant par une Malagueña de pur panache, que Marcos Madrigal anime avec un duende venu directement de l’Albaicin.

Cette compréhension profonde du double univers de Lecuona, partagé entre la grande tradition pianistique ibérique et un répertoire mélodique exotique, assorti d’un pianisme de haute école, fait de ce disque la meilleure introduction à l’œuvre d’un compositeur magique et toujours sous estimé tout en révélant un pianiste de première force, que j’aimerais entendre dans les Goyescas de Granados.

LE DISQUE DU JOUR

Cuba
Ernesto Lecuona (1895-1963)
Danzas Afrocubanas
Danzas cubanas al es stilo del siglo XIX (sélection)
Suite Andalucia
Ante El Escorial
Preludio en la noche
En tres por cuatro

Marcos Madrigal, piano

Un album du label Academy Productions AP4131
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Photo à la une : © Giacomo Ligi