C’est entendu, et elle ne s’en cache pas, Natalie Dessay a abandonné sa carrière d’opéra, réussi sa reconversion au musical et à la mélodie, accepté le vieillissement de sa voix, et développé son plaisir de toujours à « conter ». Je la vois encore débrouillant pour les têtes blondes dans la cage toute noire de l’Opéra de Lyon le Casse-Noisette de Tchaikovski, avec des vraies délicatesses de maman.
Dire, c’est tout l’enjeu de ce second album avec Philippe Cassard : un premier tout entier dévolu à Debussy était venu juste à temps avant l’esseulement du timbre, ici avoué sans maquillage – les micros d’Étienne Collard sont accordés au propos. Et c’est merveille, au fond, d’accepter les rides lorsque le visage est si beau.
L’album, documenté par des photos de fantaisie, prend son titre au recueil de Poulenc où il mit son piano à la Satie derrière des musiques modelées à la syllabe sur les poèmes légers comme des fumées de cigarette de Louise de Vilmorin, légers mais profonds, cela va sans dire. Ils sont tellement scrutés ici que la fantaisie laisse la place à l’inquiétude jusque dans le clavier très ombré mais toujours allusif de Philippe Cassard. Et le délicat sostenuto des accords de Mon cadavre est doux comme un gant en dit assez long sur l’art d’être avec la voix : un legato où la douceur du timbre fait la ligne.
Laurent Naouri, le vrai mari de ce couple à trois, paraît pour une parenthèse chez Paul Valéry : Colloque est l’autre chef-d’œuvre nostalgique de Poulenc avec Mélancolie, Natalie lui répond, désarmante. Puis retour chez Vilmorin pour la fantaisie d’un Garçon de Liège caressé, d’un Au-delà dont la mesure tient l’ivresse – elle est fabuleuse, grisant d’un souffle « j’aime bien ce jeu-là », on est à Verrière, dans le parc la nuit, soudain. « Aux officiers de la garde blanche » est rendu avec tous ses sous-entendus d’émotion érotique.
Mais le chef-d’œuvre du disque, c’est la Chanson perpétuelle, rendue à sa réalité, au ressac du rêve et plus à la représentation du concert, quelque chose de maigre, de serré, d’absolu, de perdu, ce chant qui n’est plus que mot rameute au souvenir une culture des diseurs qui nous replonge loin dans le temps.
Et oui, les Fauré, les Duparc montrent la trame d’une voix à nue, mais des mots qui embaument comme ça, un piano jardin, un quatuor de soupirants, tant d’amour, ah oui çà vous fait un disque et qui durera bien des soirs d’été. Et où se précipitera toujours l’essence d’un art si français, entre Seine et Loire, un territoire imaginaire figuré ici alors qu’il est mort depuis des lustres.
LE DISQUE DU JOUR
Gabriel Fauré (1845-1924)
Après un rêve Op. 7 No. 1
En sourdine Op. 58 No. 2
Mandoline Op. 58 No. 1
Clair de lune Op. 46 No. 2
Prison Op. 83 No. 1
Spleen Op. 51 No. 3
Emmanuel Chabrier (1841-1894)
Chanson pour Jeanne
Francis Poulenc (1899-1963)
Fiançailles pour rire
Colloque
Trois Poèmes de Vilmorin
Ernest Chausson (1855-1899)
Chanson perpétuelle Op. 37
Le Colibri Op. 2 No. 7
Le temps des Lilas
Henri Duparc (1848-1933)
Au pays où se fait la guerre
Soupir
Extase
Natalie Dessay, soprano
Laurent Naouri, baryton-basse
Quatuor Ebène
Philippe Cassard, piano
Un album du label Erato 0825646114405
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Photo à la une : © DR