Le cas Schnittke

Polystylistique, vous avez dit polystylistique ? C’est Alfred Schnittke qui, pour définir sa musique, revendique le terme. Mahler, Ives, Berio l’ont appliqué en musique avant lui. Mais je ne suis pas certain que les auditeurs de la première exécution de sa Symphonie No. 1 le 9 février 1974 à Gorki sous la baguette de Gennadi Rozhdestvensky aient bien compris la nature de l’objet.

Schnittke l’ouvre dans le vaste charivari d’un orchestre qui s’accorde toutes voiles dehors et s’applaudit lui-même à l’entrée du chef. Moscou, malgré l’enthousiasme de Rozhdestvensky fasciné par la partition où opérait un orchestre immense mais aussi une formation de jazz laissée en liberté surveillée, ne voulait pas entendre ce tumulte, Riga le put dès 1975 et Gidon Kremer ne s’en est jamais remis : il y jouait la partie de violon solo.

Cette œuvre-univers, qui reprend le propos de la symphonie là où Gustav Mahler l’avait laissé, est un vertige constant et oui, un opus génial. D’autant qu’il est ici porté à incandescence par son créateur treize ans après la première de l’œuvre. De l’eau était passée sous les ponts, Schnittke était entré de force dans le paysage, Rozhdestvensky allait d’ailleurs graver pour le très officiel label Melodiya les quatre premières Symphonies. Mais dans cette Première, tout le travail de déconstruction cher à Schnittke est à l’œuvre dans son urgence primordiale, et c’est fascinant d’autant plus que la manie de la citation y paraît bien moins omniprésente que dans les opus suivants – mais il y va fort : rien moins que le thème du Finale de la 5e de Beethoven, entre autres mascarades, ce que la prise de son hyper virtuose de Sergei Pazoukhine ordonne avec maestria.

Alors que je suis ressaisi par le geste incandescent de cette Première Symphonie transgressée par la baguette de son créateur, voici que la nouvelle étoile de la direction russe, Vladimir Jurowski, se penche lui sur la Troisième Symphonie. Sept années ont passé, le collage et la citation ont colonisé le vocabulaire, rendant les audaces moins lisibles et partant plus admissibles. Et sous la direction pleine de subtilité de Jurowski, cela devient presque un eden sonore orgiaque, une grande divagation de sons et de couleurs, d’un confort auditif d’autant plus transcendant que les ingénieurs du son de Pentatone nous conduisent au cœur de cet orchestre machine que Schnittke démonte et remonte sans cesse dans le vaste atelier qu’est sa symphonie.

En tous cas cela me fait du bien : tant de critiques ont parié que Schnittke n’était qu’un effet de mode alors qu’il avait tout compris de ce qui fait notre temps. Comme Mahler avant lui.

LE DISQUE DU JOUR

cover schnittke 1 rojdestvensky melodiyaAlfred Schnittke (1934-1998)
Symphonie No. 1

Paul Magi, violon
Victor Guseinov, Valdimir Pushkarev, trompettes
Irina Lozben, flûte
Rashit Galeyev, trombone
Sergei Soloviev, timbales
Tatiana Fridliand, orgue

Orchestre Symphonique d’Etat du Ministère de la Culture
Gennadi Rozhdestvensky, direction

Un album du label Melodiya MELCD 1002321
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cover schnittke 3 jurowski pentatoneAlfred Schnittke
Symphonie No. 3

Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin
Vladimir Jurowski, direction

Un album du label Pentatone PTC5186485
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Photo à la une : (c) DR