Hervé Billaut ouvre son disque Dukas par la question sempiternellement répétée du motif du faune, signature sonore de l’œuvre que le compositeur d’Ariane et Barbe Bleue écrivit à la mémoire de Claude Debussy. « La plainte, au loin, du faune… » parut dans un numéro spécial de La Revue Musicale, Dukas eut-il conscience qu’il écrivait ici son chef-d’œuvre pour piano ?

Hervé Billaut la joue dans toute son insistante sensualité, en rien un tombeau. Si Dukas brula quantité de manuscrits dont il se prétendait insatisfait, j’ai toujours été étonné que la grande Sonate en si bémol mineur ait échappé à cet holocauste. Dukas y appréciait probablement le tour de force formel qu’il y réalisa – la plus vaste sonate de piano depuis la Hammerklavier, et qui ne se cache pas de son modèle beethovénien.

Il y faut un souffle considérable que François-René Duchâble ou Marc-André Hamelin (ou bien plus encore, récemment, le pianiste allemand Vladimir Stoupel, disponible en téléchargement) trouvèrent en leurs temps ; Billaut l’a aussi, il anime l’œuvre d’un pianisme ardent et y ose un geste bien plus romantique que celui de ses rivaux. En fait, il ne s’encombre pas de la référence beethovénienne et la joue dans la lignée de Franck qui n’osa jamais rêver une sonate aussi puissamment bâtie. Du coup, l’œuvre se déleste de ses austérités et chante, lyrique soudain. C’est un tour de force.

Mais décidément, je préfère ou La plainte, ou les splendides Variations sur un thème de Rameau, dont les profusions harmoniques laissent paraître l’influence de Fauré, et qu’Hervé Billaut sculpte à pleine pâte, donnant au Finale son ton dansé inimitable. Tout aussi magnifique le murmure du Prélude élégiaque où le nom de Haydn n’est qu’un prétexte à un songe sombre, envoûtant.

Voici des années qu’Hervé Billaut fréquente le clavier de Dukas, osant souvent la Sonate en concert, ce disque est donc venu à temps, mais d’un pianiste au sommet de son art j’espère aujourd’hui les Debussy opulents que son clavier-couleurs appelle inexorablement.

LE DISQUE DU JOUR

Paul Dukas (1865-1935)
Œuvres pour piano
La plainte, au loin, du faune…,
Sonate en mi bémol mineur,
Variations, Interlude et Finale sur un thème de Rameau,
Prélude élégiaque (sur le nom de Haydn)

Hervé Billaut, piano

Un album du label Mirare MIR242
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Photo à la une : © Stéphane Bourgeaud-Lignot