Lorsque Lili Boulanger mit le point final en novembre 1914 à Clairières dans le ciel, achevant son cycle exactement comme elle l’avait commencé, savait-elle qu’elle écrivait un chef-d’œuvre de la mélodie française égalant L’Horizon chimérique ? En tous cas, la postérité ne l’a jamais su, malgré un sublime enregistrement où Eric Tappy était accompagné par Jean Françaix, jamais réédité en CD ! J’espère néanmoins qu’Artalinna pourra exaucer son vœu de le coupler au récital Poulenc de Bernard Kruysen paru chez Erato en 1963, et lui non plus jamais reparu !
Cyrille Dubois et Tristan Raës ne laissent aucune possibilité à la postérité de se débiner, dévoilant en coda d’un programme de raretés ce cycle émouvant sans rien en transposer. Et Lili Boulanger écrit son ténor très haut, ce qui donné à Cyrille Dubois l’occasion de déployer ses aigus, où survit son timbre de « treble », alors qu’il était soliste de la Maîtrise de Caen – je n’ai pas oublié ses Petits Motets de Sébastien de Brossard ! (1) – et surtout de faire rayonner son art si expressif.
Ce cycle alternant entre élans amoureux et dépression existentielle veut un chanteur écorché vif qui puisse transcender par le sentiment la poésie symboliste de Francis James dont les faiblesses sentimentales sont comme niées par la profondeur du geste musical de Lili Boulanger – l’équilibre n’est pas aisé à trouver, et Tristan Raës compose son piano comme un orchestre – spectre de couleurs étendu, phrasés en creux, il porte le timbre de Cyrille Dubois, l’habille d’un tapis d’harmoniques qui me fait regretter que Lili Boulanger n’ait pas eu le temps d’orchestrer son cycle comme le rappelait Nadia Boulanger à ses élèves de la Rue Ballu.
Le reste du disque est une collection de raretés : le raffinement des Odelettes de Ropartz, les étrangetés des Sept petites images du Japon de Georges Migot – un compositeur dont il faudrait découvrir l’œuvre si variée – deux mélodies de Vellones, l’une débordée d’émotion, l’autre tout en ironie, trois splendides opus de Jacques de la Presle, et si ce nouveau volume – le treizième – de la série « Les Musiciens et la Grande Guerre » initié par Philippe Saulnier d’Anchald était le plus accompli ? C’est en tous cas le mieux enregistré !
LE DISQUE DU JOUR
Lili Boulanger (1893-1818)
Clairières dans le ciel
Pierre Vellones (1889-1939)
« Lettre du front »
Aux Gonces qui se débinent
Joseph-Guy Ropartz
(1864-1955)
Quatre odelettes
Georges Migot (1891-1976)
Sept petites images du Japon
Jacques de la Presle (1888-1969)
Chanson de la rose
La Branche d’acacia
Heureux ceux qui sont morts…
Cyrille Dubois, ténor
Tristan Raës, piano
Un album du label Hortus 713
(1) Sébastien de Brossard : Petits Motets – Cyrille Dubois, Alain Buet, Hervé Lamy, Maîtrise de Caen, Robert Weddle – 1 CD M10 Assai 207582
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Photo à la une : La compositrice Lili Boulanger – Photo : (c) DR