Ludovic Morlot fait résonner les premiers accords d’Incantatoire comme le signal d’un mystère – les phrases des bois se déploient, le quatuor met son miroir, cette musique qui semble sans cesse écrite en point d’interrogation auto-génère ses lianes et ses inflorescences comme un organisme vivant : je n’avais plus entendu le rêve fluide, la divagation torpide, les paysages baudelairiens des Métaboles si bien restitués depuis leurs deux versions princeps, celle de Charles Munch et de George Szell.

L’art des timbres, des rythmes précis sans être appuyés, une maîtrise des strates sonores essentielle pour la syntaxe de cette musique, Ludovic Morlot et son Seattle Symphony possèdent tout ce qu’il faut ici. Dans le si difficile – de dosage, d’agogique, de conduction – L’arbre des songes, le vitrail resplendit jusque dans ses teintes les plus nocturnes, et Augustin Hadelich est chez lui, variant bien plus son jeu – archet fusant, registres contrastés, son creusé – qu’en ses précédents disques.

Pour Le Double, Munch régna longtemps sans rival : il savait élancer cette musique où tant de chefs perdaient la tension, dirigeaient brouillon. Il l’incarnait, lui donnait un geste flamboyant. Il faudra désormais lui adjoindre la proposition de Ludovic Morlot, plus rêvée, et soudain tout aussi fulgurante, mieux enregistrée surtout, saisissant le concertato du clavecin et de l’ensemble instrumental enchâssé au devant de l’orchestre : c’est respecter la disposition souhaitée par Dutilleux et trouver cette fluidité des timbres qui tisse les polyphonies du discours naturellement.

Si j’ajoute que les Métaboles et Le Double sont enregistrés en concert, vous saurez qu’à Seattle décidément on a tout compris à Dutilleux. L’éditeur annonce un troisième volume, il devrait songer à un quatrième : l’intégrale du Loup attend toujours sa version moderne et les ultimes cycles de mélodies gagneraient à de nouveaux enregistrements : Barbara Hannigan y serait parfaite.

LE DISQUE DU JOUR

Henri Dutilleux
(1916-2013)
Métaboles
L’arbre des songes
Symphonie No. 2 « Le double »

Augustin Hadelich, violon
Seattle Symphony Orchestra
Ludovic Morlot, direction

Un album du label Seattle Symphony SSM1007
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Photo à la une : (c) DR