Au cours des années soixante-dix, Michel Béroff grava pour La Voix de son maître une anthologie Debussy qui marqua la discographie par ses couleurs précises et son jeu tranchant. Elle divisa la critique et trouva ses aficionados. Plus de trente ans plus tard, l’essentiel n’a pas changé, du moins dans le rapport au clavier, Béroff joue toujours en plein soleil, exposant les mystères des deux Livres de Préludes à sa lecture vive, précise, ciselée sans maniérisme.
S’y est ajouté un sens de la caractérisation aiguisé : La Puerta del vino a des accents gitans, les Fées ont quitté leur sylve pour nous reconduire au cabaret, elles ont un petit coté Chabrier irrésistible, Ondine a du mystère mais aussi une sensualité heureuse. Tout le Deuxième Livre étonne par son ton affirmé, son pianisme plein, ses sonorités éclatantes et un seul exemple me vient en tête : Richter.
Dans le Premier Livre, Béroff ose des moments de tendresse qu’il se refusait avant : La Fille aux cheveux de lin a quelque chose de surligné, elle raconte au lieu d’évoquer. Bien vu, comme ses Danseuses de Delphes dont la simplicité a un petit côté Satie, avant que les questions sans réponses de Voiles n’ouvrent la focale sur les paysages à venir – mystères olfactifs (Les collines d’Anacapri, Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir) où le piano se distend grâce à un jeu de pédale très subtil, rumeurs naturalistes composées comme de petits films (les deux vignettes « venteuses ») ou des pièces de genre piquantes, très cabaret : La Danse de Puck et Minstrels sont vraiment conçus comme un ensemble.
Sortant des Préludes nuits et brouillard de Francesco Piemontesi, ce Debussy fauviste m’a cueilli par surprise. Comparer l’un et l’autre, c’est effectuer un grand écart qui prouve à quel point ce piano peut s’entendre de manières drastiquement opposées. J’ajoute que tout cela est enregistré en concert. Et maintenant, les Etudes, les Images, les Estampes, Pour le piano, please.
LE DISQUE DU JOUR
Claude Debussy (1862-1918)
Préludes, Livre I, L. 117
Préludes, Livre II, L. 123
Michel Béroff, piano
Un album du label Lyrinx LYR2281
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Photo à la une : © DR