Belle idée : LPO Live regroupe les enregistrements mahlériens donnés en concert par Klaus Tennstedt et son orchestre londonien. Ces versions ardentes atteignent à un degré supplémentaire de folie et de fureur, sont transfigurées par une puissance expressionniste que les gravures en studio pour EMI ne portèrent pas à la même intensité.
La Sixième est une folie pure, morbide, fulgurante mais ample, l’orchestre s’y déploie dans une rage inextinguible, c’est de la musique pour vous brûler vif. La Huitième contraste un Veni Creator exalté avec une déambulation nocturne à la poésie entêtante, une des plus émouvantes Scène finale du Faust de Goethe avec celle de Sinopoli. Et quelle distribution : Júlia Várady, Jane Eaglen, Susan Bullock, Trudeliese Schmidt, Jadwiga Rappé, Kenneth Riegel, Eike Wilm Schulte, Hans Sotin ! Ecoutez comment Tennstedt fait entendre au début de la Titan les bruits de la nature, retrouvant la poésie qu’y mettait Jascha Horenstein jadis, et la vaste phrase lyrique du Finale, tenue, portée, si émouvante.
L’accompagnement subtil qu’il réserve à Thomas Hampson pour des Lieder eines fahrenden Gesellen venus d’une autre planète laisse transparaître le souvenir des cycles de Schubert, tant tout y sonne avec un naturel déconcertant.
Le coffret offre deux versions de la Résurrection. Celle captée au Royal Festival Hall le 20 février 1989 est bien connue, ardente, roide, puissante et un rien assise. Mais le concert jusque-là inédit donné au même endroit sept ans plus tôt le 10 mai 1981 me semble aller plus loin : le Maestoso est tour à tour acerbe puis désolé, le creusement du quatuor, l’abrupt des cuivres, un ton de jugement dernier qui me rappelle Klemperer.
L’Andante moderato conserve une inquiétude étrange, le « Fischpredigt » du Scherzo est empoisonné, vénéneux, et l’Urlicht, hors du temps, voit Doris Soffel déployer une méditation abyssale. Un autre monde sonore se déploie, incroyable organisme vivant, dans un Finale halluciné, fulgurances de comètes, tombeaux ouverts, corps glorieux, la parabole est accomplie : Aufersteh’n !
Et si ce soir-là, Tennstedt avait sacré en Mahler sa fusion avec l’Orchestre Philharmonique de Londres dont il allait devenir la saison suivante le directeur musical ?
LE DISQUE DU JOUR
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 1, « Titan » (enr. 1991)
Symphonie No. 2, « Auferstehung » (enr. 1981 & 1989)
Symphonie No. 6, « Tragique » (enr. 1991)
Symphonie No. 8, « Symphonie des Mille » (enr. 1991)
Lieder eines fahrenden Gesellen (enr. 1991)
Yvonne Kenny (Symphonie No. 2, 1989), Heather Harper (Symphonie No. 2, 1981), Júlia Várady (Magna Peccatrix), Jane Eaglen (Una Poenitentium), Susan Bullock (Mater Gloriosa), sopranos
Jard van Nes (Symphonie No. 2, 1989), mezzo-soprano
Doris Soffel (Symphonie No. 2, 1981), mezzo-soprano
Trudeliese Schmidt (Mulier Samaritana), contralto
Jadwiga Rappé (Maria Aegyptiaca), contralto
Kenneth Riegel (Doctor Marianus), ténor
Thomas Hampson (Lieder eines fahrenden Gesellen), baryton-basse
Eike Wilm Schulte (Pater Ecstaticus), baryton-basse
Hans Sotin (Pater Profundus), basses
Eton College Chapel Choir (Symphonie No. 8)
London Symphony Chorus (Symphonie No. 8)
London Philharmonic Orchestra
Klaus Tennstedt, direction
Un coffret de 9 CD du label LPO 0100/09
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Photo à la une : © DR