La révélation Armstrong

Un premier album confrontant Bach et Ligeti m’avait sacrément tiré l’oreille : sonorité magique, couleurs à foison, sens de la narration : un nouveau grand du piano apparaissait. En plus de cela compositeur, comme le démontrait au centre du disque une Fantasy on B.A.C.H.

Mais j’avais déjà entendu ce piano si singulier dans un coffret « Liszt Modern » édité par le Rhur-Klavier Festival où il jouait en trio avec Andrej Bielow et Adrian Brendel une rare version de La Vallée d’Obermann.

Le revoici justement dans un plein disque Liszt au programme aussi pensé que fulgurant : une suite de « scènes symphoniques » pour le piano, avec comme fil rouge les trois Méphisto-Waltz et qui commence par les Deux Episodes du Faust de Lenau, la mystérieuse Procession nocturne, entre brouillard et scintillement stellaire, tableau d’atmosphères et pensées mystiques et la Danse de Méphisto à l’auberge du village où soudain le virtuose donne sa pleine mesure, faisant imploser le clavier.

Si Le Triomphe funèbre du Tasse atteint des sommets d’éloquence, si le Salve Polonia tiré de l’oratorio Saint Stanislas émeut par son choral, ce sont bien les Méphisto-Waltz auquel je reviens sans cesse, prodigieux alliage d’une virtuosité diabolique avec un sens de l’humeur, une invention du jeu, une fantaisie proprement insensés.

Kit Armstrong joue un somptueux Bechstein, rappelant que ce fut le piano de Liszt durant les dernières années de sa vie. Avec ses basses en bombarde, ses aigus de flûte, son medium plein de caractère, ce piano aux couleurs si tranchées tombe exactement dans le jeu fulgurant du jeune homme.

Quel piano jouait-il dans son premier disque ? Probablement un très beau Steinway, au clavier si doux et si lumineux. Je le retrouve. Comme l’album Liszt il fut enregistré dans l’acoustique parfaite de la Jesus-Christus-Kirche de Berlin-Dahlem.

Cette Première Partita absolument sereine, d’une maîtrise formelle sciante, dont l’interprétation lui fut inspirée par l’édition de Czerny et les commentaires que Cortot destinait à ses élèves durant ses cours magistraux était déjà un coup de maître. C’est merveille, ce rêve éveillé, cette douceur du son, cette imagination des phrasés et des ornements. Et les douze Choralvospiele sont de la même eau. Son étrange Fantasy anticipe sur la fin du disque, où s’enchaînent six pièces tirées de la Musica Ricercata de Ligeti, délicieuse de poésie, phrasés avec des luxes de sous-entendus, tout un art allusif.

Autant le disque Liszt révèle le virtuose consommé, autant son premier album disait déjà tout d’un musicien souverain. Si vous voulez en savoir plus sur Kit Armstrong, lisez d’abord l’éclairant texte qu’il a écrit pour son Bach où la passionnante interview qui occupe le livret du Liszt, mais surtout procurez vous le film de Mark Ridel, Set the Piano Stool for Fire, qui retrace les rapports entre le tout jeune Kit Armstrong et son professeur Alfred Brendel, illustration des affinités électives les réunissant par-delà les soixante années qui les séparent.

LE DISQUE DU JOUR

cover armstrong liszt sonyFranz Liszt (1811-1886)
Symphonic Scenes
Der nächtliche Zug, S. 513a
Le triomphe funèbre du Tasse (Ode funèbre No. 3), S. 517
Salve Polonia (Interludium aus dem Oratorium St. Stanislaus), S. 113 No. 2
Mephisto Waltz No. 1, S. 514
Mephisto Waltz No. 2, S. 515
Mephisto Waltz No. 3, S. 516

Kit Armstrong, piano
Un album du label Sony Classical 88875163732
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cover armstrong bach ligeti sonyJohann Sebastian Bach (1685-1750)
12 Préludes de Choral pour orgue (arrangements divers)
Jesus Christus unser Heiland, BWV 666 ; Allein Gott in der Höh’ sei Ehr’, BWV 711 ; In dulci jubilo, BWV 729 ; Vom Himmel hoch, da komm’ ich her, BWV 738 ; Gottes Sohn ist kommen, BWV 724 ; Christ lag in Todesbanden, BWV 625 ; Wer nur den lieben Gott lässt walten, BWV 690 ; In dich hab’ ich gehoffet, Herr, BWV 712 ; Jesu, meine Freude, BWV 713 ; Herr Jesu Christ, dich zu uns wend’, BWV 655 ; Allein Gott in der Höh’ sei Ehr’, BWV 715 ; O Mensch, bewein’ dein’ Sünde groß, BWV 622
Partita No. 1 en si bémol majeur, BWV 825
György Ligeti (1923-2006)
Musica Ricercata (extraits : IV. Tempo di valse “à l’orgue de Barbarie” – III. Allegro con spiritu – X. Vivace. Capriccioso – IX. Adagio (Béla Bartók in memoriam) – V. Rubato. Lamentoso – VII. Cantabile, molto legato)
Kit Armstrong (né en 1992)
Fantasy on B.A.C.H.

Kit Armstrong, piano
Un album du label Sony Classical 88883747752
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POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE PIANISTE

Mark Ridel, Set the Piano Stool for Fire
Un DVD du label Calliope Media

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Photo à la une : © Jason Alden