Lors d’une Tribune des critiques de disques consacré au Gaspard de la Nuit de Maurice Ravel, Beatrice Rana nous avait surpris par la profondeur de son clavier et la puissance de ses climats. La voilà couplant dans son premier album pour son nouvel éditeur, Warner, deux concertos qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre : le Deuxième de Prokofiev et le Premier de Tchaïkovski.
Significativement, le disque s’ouvre avec l’opus de Prokofiev. Sa virtuosité ne fait qu’une bouchée de la terrible cadence de l’Allegretto, ce piano flamboyant qui ose tout, l’insolente maîtrise avec laquelle elle parcourt d’un trait le Scherzo, tout cela manque un rien de percussion. Mais le rythme de marche furieuse de l’Intermezzo la trouve soudain venimeuse, péremptoire, ironique jusque dans le lyrisme. Elle se surveille, son œil implacable scrute la partition, tout cela devient assez fabuleux et prend totalement feu dans un Finale haletant, une course effrénée où je réalise soudain que ce piano est d’une beauté affolante.
C’est cette même splendeur qui donne au Premier de Tchaïkovski un ton lyrique dont tout pathétisme est ôté. Voici bien longtemps qu’il n’a pas sonné aussi classique, architecturé, phrasé sans atermoiement, très « dit ». Autant Antonio Pappano se montrait péremptoire chez Prokofiev, autant il chante ici avec sa pianiste. Si bien qu’au final, je reviens plus souvent au Tchaïkovski qu’au Prokofiev. Ce disque « à l’envers » est vraiment étonnant, et si vous ne connaissez pas les autres albums de Beatrice Rana, commencez par celui-ci qui donne la pleine mesure de son art.
LE DISQUE DU JOUR
Sergeï Prokofiev (1891-1953)
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en sol mineur, Op. 16
Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en si bémol mineur, Op. 23
Beatrice Rana, piano
Orchestra dell’Academia Nazionale di Santa Cecilia
Antonio Pappano, direction
Un album du label Warner 0825646009091
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Photo à la une : © DR