Longtemps le grand « Violin Concerto » que Benjamin Britten, réfugié au Canada, écrivit pour le virtuose espagnol Antonio Brossa en 1939, et où passent des échos de la Guerre d’Espagne, demeura une de ses partitions les moins courues, malgré la révision qu’il en effectua au cours des années cinquante. Les choses changèrent lorsque plusieurs violonistes de la nouvelle génération – de Frank Peter Zimmermann à Linus Roth en passant par Janine Jansen ou James Ehnes – le championnèrent dans les années 1990, si bien qu’au début du XXIe siècle, sa discographie connut une progression exponentielle.
Vilde Frang l’avoue, elle voulait à toute fin l’enregistrer, clamant que c’était son concerto favori. Depuis son bouleversant Concerto de Sibelius – son premier disque voici six ans – j’ai collectionné tous ses albums, admirant dès ses débuts l’artiste, et surveillant la métamorphose de sa sonorité : ce qu’il y avait de fragile dans son jeu si ardent a laissé place à une plénitude, une intensité radieuse qui ignore toujours toute joliesse : Vilde Frang, malgré ses blondeurs, n’est pas une charmeuse, elle est une pythie, et le terrible Concerto flamboyant et morbide que Britten a écrit dans un moment de grande tension personnelle lui va comme un gant : elle y violente, véhémente jusque dans les traits imitant une sonnerie de trompette à la fin de l’ouvrage.
Qu’elle ait trouvé pour partenaire un orchestre si brillamment affûté par James Gaffigan ajoute une dimension supplémentaire à son enregistrement : comme les Francfortois décidément jouent avec panache depuis que Paavo Järvi les anime ! D’ailleurs, ils ont donné l’œuvre au concert sous sa direction, quelque chose de la tension produite par le chef letton perdure ici.
Le couplage avec le Concerto de Korngold – pensé dés 1937 pour Huberman créé dix ans plus tard par Heifetz – pourra étonner, mais la gestation des deux œuvres est contemporaine, sinon leur propos. Le risque que tout violoniste court dans le Korngold, si flatteur, est de trop s’écouter. Vilde Frang s’en garde bien : elle chante la première phrase dans l’ombre, et ce qui intéresse son archet fulgurant c’est bien le caractère fantasque, le geste cinématographique qui parcourt l’œuvre, lui donnant cette coupe bizarre. Elle exalte plus l’esprit de scherzo que le ton de romance, aidée par la direction précise et suggestive, tranchante et venteuse de Gaffigan, là encore magnifique. Sommet, le Finale, désopilant, qui caracole avec une ivresse contagieuse. Pas mieux depuis Heifetz et Shaham, pourtant l’œuvre est très courue au disque.
Et maintenant, si Vilde Frang quittait le XXe siècle et nous offrait son Beethoven ?
LE DISQUE DU JOUR
Benjamin Britten (1913-1916)
Concerto pour violon, Op. 15 (version révisée)
Erich Wolfgang Korngold (1897-1957)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 35
Vilde Frang, violon
hr-Sinfonieorchester
James Gaffigan, direction
Un album du label Warner Classics 082564600921
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Photo à la une : La violoniste norvégienne Vilde Frang – Photo : © DR