Idée éclairante qu’a pour son second disque Jean Rondeau de placer en regard deux maîtres de la tragédie lyrique en faisant se mesurer leurs clavecins.

Pancrace Royer, dont on nous a rendu voici peu l’ardent Pyrrhus, est passé à la postérité par une seule de ses pièces de clavecin, ce Vertigo dément où des batteries disloquent un fandango fantasque : je me souviens encore de ma stupeur le découvrant sous les doigts de William Christie qui l’enregistrait pour les micros de Jean-François Pontefract à l’automne de 1979.

Depuis Royer a eu ses défenseurs, tous passionnants et vraiment divers, de Jean-Patrice Brosse à Christophe Rousset qui l’a gravé par deux fois, j’avoue garder un faible pour le disque héroïque, plein de caractère, de Yakovos Papas, mais enfin aucun d’entre eux n’avait osé faire voisiner l’étrange Royer, auquel ils consacraient d’ailleurs des monographies, avec l’incommensurable génie de Rameau. Par crainte que les pièces fantasques du premier ne tiennent pas devant celles si construites, si tenues jusque dans leur éloquence ou leur poésie, du Dijonnais ?

Je ne le pense pas, Royer est un monde en soi, savant mais âpre, qui divague, qui cherche des coups pour ainsi dire. Jean Rondeau se garde bien de l’empoigner : écoutez simplement tout l’imaginaire qu’il suscite par ses ornementations dans La Zaïde, histoire de montrer que souvent Royer peut être tendre comme François Couperin. C’est probablement la leçon de ce disque, qui montre que si l’auteur de Pyrrhus, né pourtant plus de vingt ans après Rameau, était capable de toutes les audaces, finalement le fonds de sa musique est plus proche du grand XVIIe siècle que ne le fut jamais celle de l’iconoclaste Rameau. Et Jean Rondeau le joue ainsi, chantant large – il sait donner de l’espace au clavecin, cette manière m’évoque parfois Scott Ross – le faisant au fond assez ample et quasi symphonique : La Marche des Scythes en témoigne.

Mais dès qu’il passe à Rameau il abandonne ce ton un rien sombre pour alléger tout : les danseurs qui s’ébrouent dans Les Sauvages sont au salon et pas à l’opéra, les Tambourins sont une récréation et pas un croquis pris sur le vif, L’Entretien des muses à un ton de conversation philosophique, mine de rien, on a changé de siècle.

Disque passionnant, que je ne suis pas prêt de ranger.

LE DISQUE DU JOUR

Vertigo

Pancrace Royer
(1705-1755)
Allemande, Les Matelots, Tambourins, Le Vertigo, La Zaïde, La Marche des Scythes, L’Aimable
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Prélude, Les Tendres Plaintes, Les Niais de Sologne, L’Entretien des Muses, Sarabande, Musette en rondeau, Tambourins, Menuets, Les Sauvages

Jean Rondeau, piano

Un album du label Erato 0825646974580
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Photo à la une : © DR