Pourquoi jouer le texte après tout ? Debussy recréant sa Cathédrale engloutie voyait bien son texte d’assez loin. En l’espèce, plutôt pourquoi jouer seulement le texte. C’est ce qu’ose aujourd’hui Yevgeny Sudbin, dix ans après un premier volume Scarlatti qui avait fait des étincelles.
Sans ambages, l’artiste prévient « L’interprétation de Scarlatti au piano est en fait une transcription pour piano … Qu’il s’agisse seulement d’ajouter des ornements ou d’accentuer les timbres, d’insérer des voix ou des accords : le pianiste ici est libéré du poids des termes angoissants comme « pratique d’exécution historique ». Et Sudbin de rappeler que Kirkpatrick écoutant Horowitz venu lui jouer une poignée de sonates, l’encouragea à encore plus de liberté et de fantaisie.
Dans ce délicat équilibre de l’hier et de l’aujourd’hui, Sudbin met non seulement son piano versicolore, si inventif digitalement, mais aussi une pointe de génie iconoclaste : certaines Sonates semblent revisiter par Godowsky ou Sorabji, d’autres au contraire par Rameau ou Couperin, tout un imaginaire de la littérature pour clavier s’y infuse et éclate en autant de diffractions harmoniques ou ornementales.
Ce n’est ni un tour de force, ni une provocation, mais une série de recréations étourdissantes qui rappellent que Sudbin est plus qu’un simple pianiste : un musicien. Comme jadis Christian Zacharias qui en variant à l’infini tempos, accents et phrasés proposait au long des bis de ses concerts vingt versions différentes de la Sonate K. 55. Mais le russe y met plus d’insolence, plus de licence, plus d’iconoclastie et soudain une vertigineuse poésie qui me laisse désarmé : la Sonate en ut mineur (K. 59), fandango sans rythmes, ronde hypnotique, vous hantera.
LE DISQUE DU JOUR
Domenico Scarlatti (1685-1757)
Sonates pour clavier K. 417,
K. 159, K. 56, K. 213, K. 125,
K. 373, K. 119, K. 69, K. 425,
K. 29, K. 12, K. 479, K. 9, K. 318, K. 141, K. 32
Yevgeny Sudbin, piano
Un album du label BIS 2138
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Photo à la une : © DR