Nikolaï Malko (1883-1961) fut l’un des ultimes représentants de la tradition de la direction d’orchestre impériale en Russie : geste économe, sens de l’architecture classique, attention au style spécifique des œuvres, son art doit beaucoup à l’école allemande – il fut à Leipzig l’élève de Felix Mottl durant l’année 1909.
Pourtant, il sera un des fers de lance des nouveaux compositeurs soviétiques, créant la Première Symphonie de Chostakovitch – on peut l’entendre ici donner à cette partition flamboyante une intensité épique peu courante – qui lui dédiera le brulot moderniste que sera sa Deuxième Symphonie.
Une carrière européenne se dessina dès le début des années trente, l’Orchestre Symphonique de la Radio Danoise en faisant son directeur artistique. La Seconde Guerre mondiale le contraignit à s’exiler aux États-Unis mais une fois la paix revenue, il regagna l’ancien monde. Walter Legge l’accueillit au sein de son équipe d’His Master’s Voice, lui réservant une part du répertoire russe, mais pas seulement : Haydn, Grieg, Dvořák y figurent en bonne place. La BBC noua au long des années cinquante une relation privilégiée avec ce chef de grande école dont les musiciens appréciaient l’humour pince sans rire et la battue parfaitement intelligible.
Cette relation privilégiée, la voilà documentée : Richard Itter capta heureusement quelques-unes des diffusions en direct reproduites ici, que la BBC ne prit pas le soin d’archiver ou – une règle trop longtemps appliqué dans la maison – effaça consciencieusement.
Les interprétations du répertoire russe sont fabuleuses par le caractère, l’éclat des couleurs qu’on dirait jetées à pleins baquets, une puissance du geste pourtant toujours ailée, quelque chose d’absolument dionysiaque qui métamorphose l’Antar de Rimski-Korsakov et donne l’impression que l’encre de la Première Symphonie de Chostakovitch est à peine sèche. A-t-on jamais entendu Prélude de La Khovanchtchina plus suggestif, aube grise infinie ?
Et le style très surveillé de la 2e Symphonie de Tchaikovski est décidément un modèle. On passera sur Les Fileuses de Transylvanie de Kodály, en anglais, et coupées, d’un intérêt seulement documentaire, mais le grand style mit à la 83e de Haydn, et surtout une 7e de Bruckner appassionnato – on entend Malko frapper son pupitre de sa baguette – soulignent à quel point l’art du chef russe s’inscrivait dans la grande tradition de direction germanique qui fonda l’école Russe.
Ensemble éloquent et révélateur. Y aurait-il matière à une suite ?
LE DISQUE DU JOUR
Nikolaï Malko conducts the BBC Symphony Orchestra (1957-1960)
Piotr Ilitch Tchaikovski (1840-1893)
Symphonie No. 2 en ut mineur, Op. 17 « Petite Russie »
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie No. 1 en fa mineur, Op. 10
Modeste Moussorgski (1839-1881)
La Khovanchtchina (Prélude)
Nikolai Rimsky-Korsakov (1844-1908)
La Fiancée du tsar (Ouverture)*
Antar, suite symphonique, Op. 9
Franz Joseph Haydn (1732-1809)
Symphonie No. 83 en sol mineur, Hob. I:83 « La Poule »
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 7 en mi majeur, WAB 107
Zoltán Kodály (1882-1967)
Les Fileuses de Transylvanie**
**Elizabeth Simon, soprano
**Norma Procter, contralto
**Kathleen Joyce, contralto
**Duncan Robertson, ténor
**Denis Dowling, baryton
**Owen Brannigan, basse
BBC Symphony Orchestra
*London Symphony Orchestra
Nikolaï Malko, direction
Un coffret de 4 CD du label Lyrita REAM 2120
Acheter l’album sur le site du label Lyrita, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.com
Photo à la une : © DR