Schubert à demi

Venir à Schubert est toujours risquer un péril. Nikolai Lugansky aura pris son temps, à quarante-trois ans le voici qui aborde au disque la Sonate en ut mineur, premier volet de l’ultime trilogie.

C’est pensé, voulu, réalisé dans les moindres détails, avec un sens de la structure si omniprésent que son interprétation finit par buter sur tout ce qui dans l’œuvre se résout dans ces accords verticaux engendrant le silence : il lui manque la violence, que récemment encore Elisabeth Leonskaja dispensait jusqu’à la catharsis. Trop maître de lui, trop pudique surtout – de nature, de timbre de jeu – il manque encore à l’éternel jeune homme les abîmes, la folie, l’ampleur, mais jamais la musique.

C’est bien ce qui fait sa Sonate si attachante. Une fois certain que je n’aurais pas l’ivresse, la subtilité du jeu, toujours assez ardent, plein mais jamais épais, avec un éclairage sous chaque note, fait que je suis le discours pas à pas. Tiens, jamais l’Adagio n’avait revêtu cette couleur, et ce phrasé, de marche funèbre où s’invite le baryton du Voyage d’hiver. C’est subtilement vu, réalisé au cordeau, chaque accord pesé, comme le sera la lumière nacrée du Menuetto, des Musensohn dansant au dessus du piano, mais le saltarello infernal du Finale sera pourtant un cran en dessous : cette chevauchée ne trouve jamais son Roi des aulnes, légère, un clairon et des flûtes y chantent, trop joyeux, trop accordés.

Si la Sonate a des idées et un projet, les Impromptus, eux, n’en ont pas ; c’est joué classique, tenu, un peu plat – l’énoncé très métrique du fa mineur – sans l’élan, sans la fièvre, sans la ligne, qui unifiant les quatre volets, montre, chez Fischer, chez Brendel, chez Firkusny, une sonate tragique et brillante à la fois.

Mais c’est bien ainsi, pour Schubert, le temps est infini, pour ses interprètes aussi : Lugansky reviendra ici, je l’y attends, je l’y espère.

LE DISQUE DU JOUR

cover schubert lugansky ambroisieFranz Schubert (1756-1791)
Sonate pour piano No. 18 en ut mineur, D. 958
4 Impromptus, D. 935 (Cahier 2)

Nikolai Lugansky, piano

Un album du label Ambroisie AM214
Acheter l’album sur Amazon.fr – Télécharger l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : © Marco Borggreve