En mars 1970, quelques premiers pupitres de l’Orchestre Symphonique de Boston s’assemblaient pour enregistrer les Sonates de Debussy. Le microsillon Deutsche Grammophon, affichant Les Coquelicots de Manet, fut peu goûté en France. Je le trouvais éclatant. Le temps l’aura-t-il terni ? En rien, d’autant que Pentatone lui rend tout l’espace, toute la profondeur de sa prise de son originelle : on entend l’acoustique parfaite du Symphony Hall.
L’album s’ouvre avec la Sonate pour violon enlevée par l’archet plein, si dense, de Joseph Silverstein. Il sculpte l’œuvre, lui donne une fantaisie faunesque qui éclate dans un Finale solaire.
Celle pour violoncelle prend une dimension expressionniste dans le bel instrument de Jules Eskin, tortueux de sons, de phrasés, d’accents : une Sérénade bizarre, inquiétante, conduit à un Finale assez retenu, avec des ponctuations ibériques qui surprennent mais sont en effet dans le texte.
La merveille absolue du disque, avec un Syrinx étoilé, reste la Sonate pour flûte, violon et harpe, un éden subtilement détaillé par la flûte irréelle de Doriot Anthony Dwyer, si ombreuse, dont la sonorité profonde se reflète dans celle de l’alto discret de Burton Fine. Ces harmonies si chaleureuses, que la harpe d’Anna Hobson vient diaprer, font une sacrée échappée belle.
Tout au long du disque, le discours est à la fois affirmé et suggestif, magnifié par un piano plein d’autorité dans les Sonates pour violon et pour violoncelle, celui de Michael Tilson Thomas. L’année suivante, il enregistrera avec l’orchestre sa splendide version des Images et du Prélude à l’après-midi d’un faune.
A cette anthologie parfaite répond trente ans plus tard l’essai historiquement informé de la famille Kuijken, disque qui passa quelque peu inaperçu lors de sa parution en l’an 2000. Cet album discret que dépare une prise de son un peu courte ne propose pas d’interprétation au sens où l’entendaient les musiciens de Boston, mais des lectures, le texte et seulement le texte.
Cette littéralité friserait l’ennui s’il n’y avait les couleurs et les sons si particuliers d’un instrumentaire choisi qui profite essentiellement au Quatuor : ici on s’approche d’une recomposition révélatrice à laquelle manque pourtant un élan, une fièvre. La même prudence handicape une Sonate pour violoncelle terne, Wieland Kuijken y jouant pour une fois non pas un violoncelle historique, mais une création de Filip Kuijken achevée juste à temps pour l’enregistrement du disque en 1999. Pas vraiment probant. La Sonate pour violon manque de fantaisie, phrasés courts, piano atone (un Erard de 1894, pauvrement restauré), la magie Debussy ne paraît que dans la Sonate pour flute, alto et harpe dont les alliages de timbres sont décidément surprenants.
Mon Debussy reste à Boston.
LE DISQUE DU JOUR
Claude Debussy (1862-1918)
Sonate pour violon et piano
Sonate pour violoncelle et piano
Sonate pour flûte, alto et harpe
Syrinx
Michael Tilson Thomas, piano
Boston Chamber Players
Un album du label Pentatone PTC5186226
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Claude Debussy (1862-1918)
Sonate pour violon et piano
Sonate pour violoncelle et piano
Sonate pour flûte, alto et harpe
Syrinx
Quatuor à cordes en sol mineur, Op. 10
Kuijken Ensemble
Un album du label Arcana A392
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Photo à la une : Le chef d’orchestre et pianiste Michael Tilson Thomas – Photo : © DR