Nicholas Angelich entre dans la Sonate de Liszt à pas comptés : tempo larges, phrasés nobles, son profond et doré, quelque chose d’Arrau passe ici, la tension en moins. C’est bien le seul bémol que je pourrais mettre à l’admirable si mineur sculptée dans le marbre qu’il nous offre, si ample, si chantée, fuyant l’excès, réalisée avec des luxes de moyens qui rappellent à quel point il est chez lui dans les chefs-d’œuvre du romantisme.
Et les Kreisleriana ? Déception : la nature même du toucher n’est pas assez volatile, ce grand piano si noble ne trouve ni l’imaginaire de Kreisler ni la folie de Schumann, mais cela reste en soi admirable dés que le chant s’impose. Deux Études de Chopin jouée à pleines mains et qui donnent envie de retrouver Angelich dans la totalité des deux cahiers referment l’album, poursuivant le jeu de pistes des dédicaces : Liszt avait dédié sa Sonate à Schumann, Schumann ses Kreisleriana à Chopin, Chopin ses Études à Liszt.
Si mineur versus Kreisleriana, Simon Ghraichy avait eu la même idée une année avant Angelich. Avec bien du retard, je place enfin son disque dans la platine en commençant par Kreisleriana, et, stupeur!, ce tempo fou, ce clavier de flammes, ces accents emplis de timbres emportent la folie de Schumann dans un délire fascinant qui n’oublie pas le vertige papillonnant du deuxième thème. Sofronitsky, sors de ce corps !
Tout du long, un voyage exaltant, des prises de risques insensées qu’autorisent une technique trempée, et de l’imagination pour les phrasés, une liberté dans le tempo qui saisit tout du discours schumannien. Grande version, tout comme pour la si mineur de Liszt dont le piano devient un orchestre et qui au climax implose littéralement. Angelich bouclait sa Sonate en trente-trois minutes, il en faut deux de moins à Ghraichy, plus emporté, plus contrasté. Le jeune-homme, dont l’art a été reconnu par Cyprien Katsaris, referme ce premier album capté avec art par Anne de Jong et Marcel van den Broek avec la transcription selon Liszt de l’Allegretto de la 7e Symphonie de Beethoven. Un hommage à son maître ? En tous cas, découvrez cet artiste.
LE DISQUE DU JOUR
Dedication
Franz Liszt (1811-1886)
Sonate en si mineur, S. 178
Robert Schumann (1810-1856)
Kreisleriana, Op. 16
Frédéric Chopin (1810-1849)
12 Études, Op. 10 (2 extraits : No. 10 en la bémol majeur, No. 12 en ut mineur)
Nicholas Angelich, piano
Un album du label Erato 0190295990671
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Duel
Franz Liszt (1811-1886)
Sonate en si mineur, S. 178
Robert Schumann (1810-1856)
Kreisleriana, Op. 16
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 7 en la majeur, Op. 92 (extrait : 2. Allegretto – arr. Franz Liszt)
Simon Ghraichy, piano
Un album du label Challenge Classics CC72698
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Photo à la une : Le pianiste Simon Ghraichy – Photo : © DR