Tableaux nocturnes

Jouons au jeu du chef-d’œuvre. Quel sont les opus où Rachmaninov aura le mieux résumé son art pianistique ? Longtemps, j’ai penché pour les sombres Variations Corelli ou la Première Sonate, mais finalement, ce sont les deux cahiers d’Etudes-Tableaux où se sédimente son art : rythmes complexes, harmonies profuses, vocabulaire fulgurant, dispersion de la mélodie au profit des motifs. Et les deux opus offrent un ensemble de dix-sept pièces kaléidoscopiques qui vont bien plus loin dans la pensée musicale si complexe de l’auteur que ses Préludes.

Etudes-Tableaux : tout est dans le titre. Boris Giltburg l’a bien compris, qui laisse le temps aux atmosphères de paraître : des tableaux, plus que des études, et c’est tant mieux. Dommage qu’il se soit limité au seul second cahier, bien que sous ses doigts l’Opus 39 dépasse les quarante minutes. Rien de leur science harmonique, de leurs complexes déploiements rythmiques, de leurs couleurs saturées ne lui échappe, mais ce tempo qui expose tout a un revers : il incite le pianiste à penser par blocs successifs, la ligne se perd parfois, mais l’éloquence reste, et la vision !

Ce morcellement ne paraît plus dans les Moments musicaux, pensés et restitués pour ce qu’ils sont : des mélodies intimes où soudain un poème symphonique quasiment medtnérien s’invite : le Presto devient sous ses doigts un vent nocturne échappé d’un conte noir. Après des albums Schumann et Beethoven déconcertants, Giltburg démontre une fois de plus que ses racines russes sont le secret majeur de son art.

LE DISQUE DU JOUR

cover rach giltburg naxosSergei Rachmaninov (1873-1943)
Études-Tableaux, Op. 39
6 Moments musicaux, Op. 16

Boris Giltburg, piano

Un album du label Naxos 8573469
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Photo à la une : © Sasha Gusov