C’était une habitude : jeune homme et alors parisien – j’allais à Garnier à pied de la Rue de Villiers, c’était ma promenade – je ne manquais jamais une représentation des Nozze di Figaro selon Strehler. Autre routine, je refusais de m’informer de la distribution : je voulais du suspens. Mais lorsque Chérubin paraissait mon cœur battait plus vite. Berganza ou Von Stade ?
Mes amis ne juraient que par Berganza, style parfait, incarnation impeccable et très masculine au fond. Je l’admirais aussi, mais le Chérubin que j’aimais était celui de Frederica von Stade, cette voix d’ambre, ce sourire, cette silhouette androgyne, cette ambigüité, ce « défaillement » de la voix au bord de jouir, ah! Et comme la coquine jouait avec le ruban ! Je n’ai retrouvé un tel érotisme à l’opéra – avec tous les arrière-plans, même la nostalgie – qu’avec la Manon de Leontina Vaduva.
Évidemment je thésaurisais ses disques, et passais allègrement sur ses défauts : peu de textes, voix limitée, mais que voulez-vous, lorsqu’on aime un timbre, c’est comme lorsqu’on aime un peintre : il n’y a pas de défaut. Retrouver aujourd’hui ces microsillons fébrilement attendus, patiemment assemblés, resserrés avec leurs pochettes d’origine dans un coffret, quelle « Madeleine » !
L’occasion de déceptions relatives : ces airs d’opéra français où Pritchard, fatigué, enterre la moindre de ses volontés, quelle occasion manquée. Mais aussi de souvenirs troublants et confirmés – les Chansons de Bilitis où justement le timbre crée le personnage, ces Rückert-Lieder de Mahler où l’allemand exotique devient un atout, les Canteloube qui narguaient alors ceux de Kiri Te Kanawa, faisant jeux égaux (même si Von Stade y ajoutait le Triptyque) et différents, les Nuits d’été et le plein disque Ravel avec Ozawa, les Madécasses chantées sauvages comme seule avant elle les osa Christa Ludwig, les autres Debussy (les Ariettes !), un Hôtel tardif où on voit la fumée de la cigarette – qui confirment que cette voix fut un parfum.
D’entre tous ses disques imparfaits mais troublants, une merveille rayonne : l’album Offenbach qu’Antonio de Almeida sut la convaincre d’oser. Elle aimait le répertoire, il lui ferait la promenade, elle céda avec les délices et la fantaisie qu’on entend. Album frémissant et faillible, comme venu d’un autre temps. Bonheur supplémentaire, Sony annonce la réédition prochaine du Retour d’Ulysse selon Raymond Leppard, moqué par les baroqueux mais au fond aussi admirable que ses Cavalli de Glyndebourne. Von Stade y était Pénélope : l’éditeur a eu soin ici d’en rassembler, en apéritif, tout ce qu’elle y chante.
Et puis, ne serait-ce que pour ce Musensohn où soudain le sourire de Cherubino reparait, ou le délire d’un improbable Kabaret Lied de Schoenberg (« Seit ich so viele Weiber sah ») emportant d’enthousiasme le public !…
LE DISQUE DU JOUR
Frederica von Stade
The Complete Columbia Recital Albums
Œuvres de Berlioz, Bolcom, Brahms, Broschi, Canteloube, Chausson, Copland, Danielpour, Debussy, Dowland, Durante, Gounod, Haendel, Carol Hall, Honegger, Humperdinck, R. Hundley, Leoncavallo, Liszt, J. Lubbock, Mahler, Massenet, Mendelssohn, Messiaen, Meyerbeer, Monteverdi, Mozart, Offenbach, Paisiello, Poulenc, Purcell, Ravel, R. Rodgers, Rossini, Saint-Saëns, Satie, A. Scarlatti, Schönberg, Schubert, Schumann, A. Thomas, V. Thomson, Vivaldi, H. Warren
Frederica von Stade, mezzo-soprano
LES AUTRES SOLISTES CHANTEURS
Judith Blegen, Kathleen Battle, Ying Huang, Nucci Condo, Ruth Welting, Dawn Upshaw, Ileana Cotrubas, Renée Fleming, Hélène Garetti, June Anderson, Sylvia McNair, sopranos
Janice Taylor, Brigitte Balleys, mezzo-sopranos
Nicolai Gedda, Michel Sénéchal, ténors
Thomas Hampson, Jean-Marc Ivaldi, Michel Trempont, Armand Arapian, Samuel Ramey, baryton-basses
Susanne Mentzer, récitant
etc.
LES PIANISTES
Charles Wadsworth, piano (et clavecin)
Martin Katz, Rudolf Firkušný, Jake Heggie, piano
LES SOLISTES INSTRUMENTAUX
Joel del Maria, Ani Kavafian, violon
Ida Kavafian, alto
Laurence Lesser, Jules Eskin, violoncelle
Doriot Anthony Dwyer, flûte
Gervase de Peyer, clarinette
Gerard Schwarz, Wynton Marsalis, trompette
Nancy Allen, harpe
Wes Anderson, saxophone alto
etc.
LES CHŒURS
Tanglewood Festival Chorus, Christmas Concert Choir, American Boy Choir, Ambrosian Opera Chorus, Chœur d’enfants de l’Opéra de Cologne, Chœur de l’Opéra d’État de Bavière
LES ORCHESTRES
London Philharmonic Orchestra, National Arts Centre Orchestra, Boston Symphony Orchestra, Royal Philharmonic Orchestra, Orchestra of St. Luke’s, Scottish Chamber Orchestra, Philharmonia Orchestra, Gürzenich-Orchester Köln, Münchner Rundfunkorchester, Metropolitan Opera Orchestra, Berliner Philharmoniker
LES CHEFS-D’ORCHESTRE
John Pritchard, Mario Bernardi, Sir Andrew Davis, Seiji Ozawa, Antonio de Almeida, André Previn, Roger Nierenberg, Raymond Leppard, Julius Rudel, Pinchas Steinberg, Leonard Bernstein, James Conlon, Claudio Abbado, direction
Un coffret de 18 CD du label Sony/RCA 8875183412
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Photo à la une : © DR