Decca Eloquence juxtapose deux sopranos qui n’ont strictement rien à voir, sinon qu’elles furent chacune des Salomé, et quelles ! : Ljuba Welitsch et Inge Borkh. Borkh était une jeune première glorieuse alors que Welitsch endossait avec bonheur les rôles de composition ! Deux mondes.
Inge Borkh ne fut pas seulement la « Fille de Judée », mais d’abord, peut-être grâce à Mitropoulos et Böhm qui lui dirigeaient l’orchestre de Strauss svelte et coupant, une Elektra de mots ardents plutôt que de timbres : Pauly, Varnay avaient parlé et surtout chanté, Nilsson sanctifiera qu’il faut un vrai soprano dramatique ici … ce que fut Borkh, accessoirement. Russalka, Santuzza, Lady Macbeth, Alceste, même Adriana, lui allaient mieux : des mots, plus de mots, toujours plus. Mais des timbres ?
Mais le charme du timbre, l’élan et la langueur, ce chant versé au bord des lèvres, l’aigu ardent et sensuel, cette Mittel-Europa, cet équilibre des voyelles et des consonnes qui font la voix si longue, le souffle si tiède, c’est Ljuba Welitsch, caressant la Lisa sacrifiée au jeu de cartes ou Amelia désespérée. De l’allemand à l’italien, des voyelles, de l’eau dans les notes comme Lotte Lehmann puis Maria Reining firent toujours, ce chant mouillé, aqueux, legato et plié à l’émotion, Dio mio !, cela n’existe simplement plus : « A que veggio » s’exclame Amelia voyant le gibet. Et vous le voyez aussi.
Ljuba Welitsch fut un génie naturel, du genre qui vous dit bonjour si vous prenez le café à côté d’elle en terrasse, une muse sans compositeur mais pas sans personnages, un ange de sexe et de chant, quelqu’un d’absolument là et de tout à fait ailleurs.
Le disque se termine sur des airs d’opérette : décidément, une autre époque, mais c’est cet art que Karajan accompagne avec des tendresses inouïes lorsqu’elle apparaît parmi les invités d’Orlovski, « Ah! Ljuba, du allein ! ». Allez, encore une fois le « Ma d’all’arido stelo divulsa » avec lequel, en 1949, elle enflammait Edinburgh, soprano assoluta de mes rêves, mon ange noir.
Ah ma Ljuba ! Tiens, je vais réentendre de ce pas cette Lettre de Tatiana où le cor de Dennis Brain cherche en vain à l’apaiser alors que l’orchestre de Walter Susskind l’illusionne encore. Ce n’est pas ici, mais là-bas, chez Columbia, enfin Warner. Vous me suivez ?
LE DISQUE DU JOUR
Ljuba Welitsch et Inge Borkh
The Decca Recitals
CD 1
Plages 1 à 5
Airs de Dvořák, Gluck, Mascagni, Verdi, Debussy
Inge Borkh, soprano
London Symphony Orchestra
Anatole Fistoulari, direction
Plages 6 à 10
Airs de Verdi (extraits de La forza del destino, Un ballo in maschera, Macbeth), Giordano (Andrea Chenier) et Cilea (Adriana Lecouvreur)
Inge Borkh, soprano
Wiener Philharmoniker
Rudolf Moralt, direction
CD 2
Plages 1 à 3
Airs de Weber (Oberon), Beethoven (Ah perfido!, Op. 65) et Strauss (Salomé)
Inge Borkh, soprano
Wiener Philharmoniker
Josef Krips, direction
Plages 4 à 12
Airs de Tchaïkovski (La Dame de Pic), Verdi (Un ballo in maschera), Lehár (Lied und Csardas, La Veuve joyeuse, Le Tsarévitch), Millocker (Die Dubarry) et Sieczynski
Ljuba Welitsch, soprano
Wiener Staatsopernorchester
Rudolf Moralt
CD 2, plage 12 : partenaires non précisés
Un album de 2 CD du label Decca 4820280 (Collection Eloquence Australie)
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Photo à la une : © DR