Sergei Bortkiewicz, fuyant l’avancée de l’Armée Rouge, débarqua en 1919 à Constantinople. Il devait y rester deux années, entrant dans les faveurs du Sultan. Sans délaisser son piano, il commença à songer à un grand concerto pour violon, dont il finalisa l’écriture une fois installé à Vienne, deux ans plus tard.
S’il semble reprendre la veine lyrique là où Tchaikovski l’avait laissé avec son propre Concerto pour violon, ce n’est qu’illusion. Ce Concerto de l’exil est bien plus ample – plus de cinquante minutes – et comme soumis à une irrépressible mélancolie. Il chante en sourdine, avec de nombreuses zones d’ombre et un charme mélodique qui semble dire « cela ne vaut pas la peine ». Le Finale osera quelques formules piquantes, mais c’est la grande ligne nostalgique qui le domine lui aussi.
Quasiment sans effets, cette partition déconcertante aura trouvé un interprète idéal dans l’archet équilibré, au medium puissant, de Sergey Levitin : il entend bien derrière le décor rêveur ce ton sombre qui en fait toute la singularité.
Quel art !, que l’on ne retrouve pas à un degré si particulier dans le grand poème symphonique inspiré par l’Othello de Shakespeare huit ans plus tôt. Un poème symphonique qui là aussi ne serait qu’une extension de ceux de Tchaikovski ? Pas vraiment non plus, plutôt une symphonie descriptive en six mouvements où les épisodes marquants du drame s’illustrent dans un orchestre au métier prodigieux dont Martin Yates règle les débordements avec art.
Y aura-t-il une suite ? Le Concerto pour violoncelle, et le second Concerto pour piano, commande de Wittgenstein, attendent les honneurs du CD.
LE DISQUE DU JOUR
Sergei Bortkiewicz (1877-1952)
Concerto pour violon
en ré mineur, Op. 22
Otello, poème symphonique d’après Shakespeare, Op. 19
Sergey Levitin, piano
Royal Scottish National Orchestra
Martin Yates, direction
Un album du label Dutton Epoch CDLX 7323
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Photo à la une : © DR