Couplage imparable : Nicolas Altstaedt marie le Premier Concerto de Chostakovitch avec celui de Weinberg. Cette mise en miroir produit en fait une mise en abîme : l’un comme l’autre se révèlent des opus absolument tragiques, d’une noirceur implacable jusque dans les musiques juives faussement allègres dont Weinberg truffe son œuvre : l’art de donner le change, sans lequel survivre sous Staline pour un musicien notoirement sémite était impossible.
Le Premier Concerto de Chostakovitch – j’avoue que j’attendais plutôt l’archet exalté de Nicolas Altstaedt dans le terrible Second – aura passé en Occident pour une œuvre presque brillante : Rostropovitch y faisait éclater la grande sonorité de son violoncelle, ce dont se garde le jeune homme : il joue à la corde, la serrant de l’archet, chante sec, cherche partout l’expression juste, cette noirceur tragique sous laquelle ricane quelque chose de plus affreux encore. Michał Nesterowicz lui règle un accompagnement au cordeau, acide parfois, d’une incroyable justesse psychologique.
Ce duo va encore plus loin dans le Concerto de Weinberg, en ut mais mineur, et composé en 1948. L’œuvre est bien moins saisissable que le Premier Concerto de Chostakovitch, Weinberg y alterne des grands gestes furieux ou festifs avec de pages désolées, esseulées presque. Le violoncelle y est un personnage à part entière, impossible pour le soliste de ne pas s’en rendre compte. Ce Concerto n’est pas un concerto, c’est un appel au secours, et Nicolas Altstaedt le joue ainsi, en délivrant une interprétation d’une éloquence et d’une subtilité qui me semblent aller encore plus loin que Rostropovitch lui-même.
Entre ces deux œuvres sombres, Michał Nesterowicz fait résonner la musique heureuse de la Mala-Suita de Lutosławski : un antidote inutile. Ce disque est noir.
LE DISQUE DU JOUR
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Concerto pour violoncelle
No. 1 en mi bémol majeur,
Op. 107
Mieczyslaw Weinberg (1919-1996)
Concerto pour violoncelle
en ré mineur, Op. 43
Witold Lutosławski (1913-1994)
Mala-Suita
Nicolas Altstaedt, piano
Deutsches Symphonie-Orchester Berlin
Michał Nesterowicz, direction
Un album du label Channel Classics CCS 38116
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Photo à la une : © Marco Borggreve