Classicisme

A quoi tient le génie de Schumann ? A l’équilibre, répond Philippe Bianconi contre toute une noria de pianistes, et malgré une certaine tradition qui voit dans le piano de Schumann l’instrument de sa folie. C’est assez culotté, parfaitement assumé, et ce nouvel opus de son long parcours chez l’auteur des Kreisleriana qui ajoute à sa discographie Papillons et Carnaval met les points sur les i.

Oui, ce classicisme du jeu, cette maîtrise de l’expression qui n’exclut ni l’émotion ni les éclats, cette simplicité de la conception comprennent tout de la syntaxe schumannienne, en respectent la lettre, n’y ajoutent rien car le texte si suggestif se suffit à lui-même. Qu’on ne croit pas cependant retrouver ici cette neutralité qu’un Karl Engel restitua pour mieux faire entendre le génie intrinsèque du musicien – il luttait alors à contre courant de ce Schumann des virtuoses, excentrique et visionnaire, qui cofondait romantisme et exhibitionnisme.

Car ce piano montre une puissance d’imagination, une intensité de jeu, un clavier si incarné qu’en effet toute la démesure de Schumann y entre pour mieux s’y ordonner. C’est entendu, pour Bianconi, Schumann est un romantique classique qui connait son Bach par cœur : les polyphonies chantent ici, somptueuses, amples, discours complexe qui se fait entendre par des doigtés savants et diablement efficaces : on entend dans Carnaval des frottements harmoniques rarement perçus, sans pourtant que rien ne paraisse souligner. Et dans ce petit carnaval que devient Papillons, placé comme en préambule de l’album, la magie des timbres crée des effets spatiaux étonnants, comme lorsqu’à l’ultime pièce la sonnerie de cor s’éloigne dans les brouillards du Rhin alors que résonne une cloche.

Carnaval n’est plus cette galerie de portraits, mais une vaste ballade dans la psyché schumanienne, où les épisodes se répondent pour former une guirlande sonore. La puissance du jeu, l’intégrité de la sonorité d’ensemble sont les signes d’un art parvenu à sa maturité.

Et les Davidsbündlertänze? C’est l’œuvre porte-bonheur de Philippe Bianconi, celle avec laquelle il remporta en 1985 la Silver Medal du Concours Van Cliburn (VAI avait édité la performance en microsillon jadis), qu’il grava ensuite pour Lyrinx. Sa nouvelle mouture confirme la compréhension parfaite qu’il a de ce cahier aventureux, avec une attention plus acérée aux échos qu’il recueille. Ainsi, à mi parcours, lorsque surgit une réminiscence des Papillons, elle s’entend, portée par l’étrange modulation harmonique qui la provoque. Cette science sans pose montre bien à quel degré d’intimité Philippe Bianconi est parvenu ici : Schumann, c’est son monde.

LE DISQUE DU JOUR

cover schumann bianconiRobert Schumann (1810-1856)
Papillons, Op. 2
Carnaval, Op. 9
Davidsbündlertänze, Op. 6

Philippe Bianconi, piano

Un album du label La Dolce Volta LDV28
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Photo à la une : © DR