Ils furent peu nombreux à braver les conditions spartiates de l’enregistrement en gravure directe imposées par le 78 tours pour y porter les Sonates de Beethoven. La tourne des faces morcelait la captation d’œuvres qui n’étaient absolument pas taillées à ce procédé.
Pourtant, Wilhelm Kempff qui s’y était risqué au temps de l’acoustique, s’y astreignit dès l’avènement de l’enregistrement électrique, reconnaissant enfin le sonorité de son piano lorsqu’on lui jouait les disques, mais la guerre fut en quelque sorte l’ennemie intime de son projet : presque toutes les Sonates, mais pas toutes.
De toute façon, la messe entre temps avait été dite. Les équipes d’His Master’s Voice avaient capté la somme sous les doigts d’Artur Schnabel entre 1932 et 1935, un marathon discographique où le pianiste impose d’emblée un ton, une vivacité, un caractère qui ont à jamais sculpté ce que doit être le visage du piano de Beethoven. Un style en soi dont l’incarnation physique n’en finit pas de bluffer : écouter seulement les doigts voler dans l’aigu du piano au long du développement de l’Allegro de la Hammerklavier qu’il enregistra en dernier. Ils laissent des notes tomber sous le clavier dans le portique d’entrée, dans l’exaltation du Fugato, mais c’est que Schnabel respecte le tempo fou que voulait Beethoven pour sa vision.
Car vision tout au long des trente-deux Sonates il y a, qui entraîne tout dans de prodigieux paysages sonores. Tout est pensé mais tout aussi s’improvise, secret du langage beethovénien, et comme ce piano sait sonner à la volée !
Ce classique absolu aura connu une bonne dizaine de résurrections – microsillons puis CD – depuis ses éditions princeps en 78 tours. Le revoilà dans un report qui vous met le piano de Schnabel dans le salon, on peut le toucher. Merveille inaltérable qui n’aurait pu connaître par la suite qu’un rival absolu, qui hélas ne boucla jamais le cycle : Rudolf Serkin. Mais du moins, nous avons celui de Schnabel, inusable, définitif, et maintenant pour quinze euros et quelque, de quoi faire entrer son Beethoven dans toute discothèque qui se construit et qui fera de l’usage pour toute une vie.
LE DISQUE DU JOUR
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Les 32 Sonates pour piano
(Intégrale)
Artur Schnabel, piano
Un coffret de 8 CD du label Warner Classics 0190295975050
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Photo à la une : © DR