Un disque Schumann regroupant les contes et les pièces de fantaisie dans leurs vêtures pour alto et piano m’avait alerté : portant le bel instrument d’Adrien Boisseau, un piano élégant et diseur apparaissait, décidément très schumannien de timbres, d’accents, celui de Gaspard Dehaene (un CD Oehms Classics, OC1819, Discophilia vous en avait causé).
Voici son premier album solo, habilement ficelé autour d’un programme de Fantaisies dont le centre est évidemment celle de Schumann : déclamée, bouillonnante, parfois boulée, elle n’en constitue pourtant pas la part la plus saisissante : l’inspiration du jeune homme qui aura ses trente ans le 19 mai prochain est ardente, visionnaire, mais je voudrais lui répéter ce que disait Yvonne Lefébure à ses élèves : « Pourquoi si vite ! Donnez du temps à la musique ». Schumann, compositeur polyphonique par essence, l’exige.
Ce sera le seul bémol que je puisse formuler devant un album où parait sa sonorité naturellement belle, très formée, assez ailée. Piano clair assurément, mais dont la touche est pleine et où les voix s’entendent limpides dans la Fantaisie chromatique et fugue de Bach qui ouvre le disque, jouée fière et nette, sans aucune pesanteur didactique. Une touche de fantaisie parait justement dans l’Hob. XVII/4 de Haydn, allègre, impertinente, tout en doigts véloces, alors que Gaspard Dehaene suspendra le temps dans celle de Mozart, nocturne immense où tout chante dans une ombre subtilement portée.
Cette sonorité sans manières, simple, ce jeu évident, impossible de ne pas y reconnaître en miroir celui de sa mère, Anne Queffélec. Et lorsque les grandes déclamations résonnent, elles se chargent d’une teinte dramatique, airs d’opéras qui fulgurent le silence.
Mais il y a mieux : la grande volute de la Fantaisie-impromptu de Chopin se déploie sous ses doigts avec une tenue, de timbres, de style, de phrasés, qui le montre chez lui, chantant avec mesure et intensité, modelant le poème comme jadis le fit Anne Queffélec dans un magnifique microsillon Chopin/Erato jamais repris en CD. La Fantaisie, Op. 28 de Scriabine, torturée, complexe, enchevêtrant ses accords déclamatoires peut bien paraître, mon imagination est restée avec celle de Chopin.
Deux remarques : sur la couverture du disque, le piano est disposé « à l’envers », ce qui donne l’impression d’un instrument pour gaucher, effet bizarre. Plus ennuyeux, le plageage est mal noté, la Fantaisie de Schumann étant dotée selon la tracklist d’une seule entrée alors qu’évidemment, elle en comporte trois.
LE DISQUE DU JOUR
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Fantaisie chromatique et fugue en ré mineur, BWV 903
Franz Joseph Haydn (1732-1809)
Fantaisie en ut majeur, Hob. XVII:4
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Fantaisie en ré mineur, K. 397/385g
Robert Schumann (1810-1856)
Fantaisie en ut majeur, Op. 17
Frédéric Chopin (1810-1849)
Fantaisie-impromptu en ut dièse mineur, Op. 66
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Fantaisie pour piano, Op 28
Gaspard Dehaene, piano
Un album du label 1001 Notes 09
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Photo à la une : © DR/Classic 360