Il est parti discrètement dans le nuit du 23 décembre, ayant abandonné son cher violoncelle voici trois ans pour ne plus se consacrer qu’à la direction d’orchestre qui était son démon depuis les années quatre-vingt. Heinrich Schiff aura été l’un des tous grands violoncellistes de son temps, qu’il joua son Stradivarius (Le Mara) où le sublime Montagna (La Belle endormie) qu’il touche dans ce Concerto d’Elgar retrouvé en fouillant ma discothèque.
Quel artiste ! Qui l’aura vu en concert, de geste passionné, n’aura jamais oublié en contraste la concentration de son jeu, l’éloquence des phrases, le sostenuto des registres. Un violoncelle ? Un orgue qui dans sa vaste palette médiane pouvait évoquer tous les instruments avec une sorte de génie.
Sa discographie dispersée entre plusieurs éditeurs contient des perles : ses Suites de Bach sont désarmantes de poésie et d’allant, plus dansées qu’aucune autre, ses Concertos de Lalo et de Saint-Saëns avec Sir Charles Mackerras montrent le styliste – ce fut son premier disque, étiquette DG – une bouleversante, à force de pudeur, Sonate de Rachmaninov avec Leonskaja, et tant d’autres dont une première version de ce Concerto d’Elgar pour Philips – avec la Staatskapelle de Dresde et Sir Neville Marriner.
En 2003, dans le Studio 7 de la BBC, il revenait à ce concerto-poème qu’il joua d’abondance, cette fois sous la direction plus lyrique de Mark Elder et avec l’Orchestre Hallé dont Elgar est la langue naturelle, et c’est merveille !
On ne lui trouvera comme rivaux que Jacqueline Du Pré ou le jeune Paul Tortelier. Ce que cet archet si lyrique retranscrit des passions elgariennes tire des larmes, même dans les épisodes de fantaisie d’un Finale joué avec un esprit, une variété dans la grammaire d’archet qui prouvent quel maître il fut avec raison pour deux générations de violoncellistes, car l’autre passion de sa vie fut l’enseignement où son empathie légendaire trouvait à s’employer à plein. Gautier Capuçon, Natalie Clein et Victor Julien-Laferrière doivent se sentir bien abandonnés.
Les autres œuvres du disque, Falstaff, la rare Romance pour basson et orchestre et la savoureuse et brève Smoking Cantata (51 secondes) prouvent le degré d’excellence du cycle Elgar entrepris par Sir Mark Elder et ses musiciens de Manchester, mais vous irez d’abord au Concerto.
LE DISQUE DU JOUR
Sir Edward Elgar (1857-1934)
Falstaff, étude symphonique en ut mineur, Op. 68
Romance pour basson
et orchestre, Op. 62
Concerto pour violoncelle
et orchestre en mi mineur,
Op. 85
Smoking Cantata (1919,
premier enregistrement mondial)
Heinrich Schiff, violoncelle
Graham Salvage, bassoon
Andrew Shore, baryton
Hallé Orchestra
Sir Mark Elder, direction
Un album du label Hallé Concerts Society HLL7505
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Photo à la une : © www.heinrichschiff.com/DR