Ignaz Friedman, poussé vers la carrière de pianiste par son père, lequel espérait qu’il aurait eu vie plus sereine, plus heureuse que la sienne, se rêva compositeur, mais secrètement. Une kyrielle d’œuvres pour son instrument où se mêlent partitions originales et transcriptions pleines d’esprit (parfois marqué au sceau du génie comme sa version pianistique du Tempo di Minuetto de la 2e Symphonie de Gustav Mahler) masquent quatre œuvres de musique de chambre de première force : trois quatuors à cordes, et ce Quintette énigmatique, fascinant, où passe l’ombre de son professeur de composition à Berlin, Ferruccio Busoni.
Polonais absolument, et juif tout autant, alors enfant prodige dans une Cracovie sous gouvernance autrichienne, Friedman étudia dès 1904 avec Leschetizky à Vienne, centre alors de toutes les tentations modernistes. Tout gamin qu’il fut, il ne put échapper à l’agitation artistique qui irriguait la capitale viennoise, quelque chose de cette tension créatrice subsiste dans le grand Quintette pour piano et cordes qu’il acheva en 1918.
L’emprise de la guerre y est omniprésente, tout le premier mouvement se déploie sur un rythme de valse ralentie, voluptueux et mortifère, immense palette de gris colorés avec ça et là quelques touches d’or, un Whistler en musique. Le thème et variations qui forme le Larghetto est prodigieux d’invention, souvent en sourdine, alors que dans le Finale, une danse populaire descendue des Tatras donne soudain une teinte moderniste qui achève de rendre cette partition fascinante.
Le piano n’y est jamais employé à des fins virtuoses, il apporte une dimension poétique supplémentaire, ce que Jonathan Plowright a bien compris, jouant de tous les timbres de ses registres, se mirant dans les sombres couleurs du Quatuor Szymanowski.
Si Ignaz Friedman ne fraya jamais avec les musiciens qui formèrent le groupe « Jeune Pologne » alors même que son Quintette aurait suffit à lui assurer une place d’honneur, Ludomir Różycki l’initia en compagnie de Szeluto, Fitelberg et Szymanowski. En 1913, il osait écrire un Quintette pour piano et cordes après le chef-d’œuvre que Juliusz Zarębski avait achevé quelques mois avant sa mort en 1885.
D’ailleurs, il se délivre de cet embarrassant modèle en coulant son œuvre dans une veine plutôt française. La partition est belle, impeccablement réalisée, mais reste loin derrière les pouvoirs évocateurs du Quintette de Friedman, malgré tout les soins que lui prodiguent Plowright et ses amis. Et maintenant, que les Szymanowski nous enregistrent les trois Quatuors d’Ignaz Friedman !
LE DISQUE DU JOUR
Ignacy (Ignaz) Friedman (1882-1948)
Quintette pour piano
en ut mineur
Ludomir Różycki (1883-1953)
Quintette pour piano
en ut mineur, Op. 35
Jonathan Plowright, piano
Quatuor Szymanowski, mezzo-soprano
Un album du label Hypérion CDA68124
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Photo à la une : © DR