La longue phrase s’élève du plus piano, se déploie, portée par le soupir de la clarinette, monte vers l’aigu, la sonorité se darde, puis l’archet creuse le registre grave sur les accords des bassons. Quelle intrada géniale que celle du Concerto de Sibelius !, une des plus belles idées du compositeur, l’un de ses effets les plus saisissants où le violon devient un personnage à part entière.
Certains en ont fait un décor stupéfiant, un paysage de glace sonore, comme Nigel Kennedy avec Sir Simon Rattle, d’autres y ont infusé une dimension narrative depuis que Georg Kulenkampff y a brûlé son archet, le plus parfait d’entre eux restant Tossy Spivakovsky : il y déployait une grammaire d’archet stupéfiante.
Voici dix ans déjà, Lisa Batiashvili l’enregistrait à Helsinki sous la baguette de Sakari Oramo, mais l’opus sibélien se faisait voler la vedette par l’autre concerto de l’album, celui de Magnus Lindberg. Revenant aujourd’hui à ce Sibelius déjà si parfaitement maîtrisé, elle impose une sonorité autrement glorieuse et puissante, et tend d’un bout à l’autre de chacun des trois mouvements une seule grande ligne. La plénitude de cet archet est soufflante, la concentration du son autant que le jeu restent constamment expressifs, se libèrent de la stupéfiante beauté, de l’évidente conduite des phrases.
Derrière cette perfection, c’est le chef-d’œuvre de Sibelius qui dresse ses paysages impérieux et son âme tourmentée : irrépressible de violence contenue, l’Adagio di molto une fois entendu ne s’oublie plus. Mais si Lisa Batiashvili va si loin dans ce Concerto pourtant souvent enregistré ces dernières années (ma préférence va également à celui de Vilde Frang et Thomas Søndergård), c’est aussi grâce à l’accompagnement sostenuto que lui offre Daniel Barenboim et une Staatskapelle de Berlin aux teintes décidément très finnoises.
La même identité sonore baltique change drastiquement le visage du Concerto de Tchaïkovski, débarrassé de toute sentimentalité, souvent anxieux, très volontiers assombri, et dont Batiashvili transforme le Finale en une rapsodie fantasque. Vision unique qui rappelle à quel point son art sait éclairer sous de nouveaux jours les œuvres le plus rebattues.
LE DISQUE DU JOUR
Jean Sibelius (1865-1957)
Concerto pour violon
en ré mineur, Op. 47
Piotr Ilitch Tchaikovki (1840-1893)
Concerto pour violon
en ré majeur, Op. 35
Lisa Batiashvili, piano
Staatskapelle Berlin
Daniel Barenboim, direction
Un album du label Deutsche Grammophon 4796038
Acheter l’album sur Amazon.fr – Télécharger l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Photo à la une : © Anja Frers