Parfois le coup de génie d’un disque réside dans son couplage. Je crois bien que jusqu’ici aucun pianiste n’avait fait voisiner les Tableaux d’une exposition et le Carnaval, affrontant deux écritures diamétralement opposées mais qui se rejoignent dans l’art du dessin à main levée.
Kirill Gerstein l’a osé, la mise en regard est plus d’une fois troublante certainement car le pianiste se montre chez Moussorgski comme chez Schumann d’une intransigeance sur le respect du texte dont pour le moins l’opus du russe n’est guère coutumier. Les plus grands pianistes, de Judina à Horowitz en passant par Richter ou Pletnev, l’ont en quelque sorte repensé.
Il semble bien que non seulement Gerstein s’en tienne à la lettre mais qu’il ait eu connaissance de l’autographe de Moussorgski. Sa lecture âpre, roide, amère, où la dissonance ne se cache pas, où les accords coupent la ligne font un univers glaçant, d’une logique imparable et qui laisse mal à l’aise. Et si c’était cela les Tableaux, ce sépulcre de sons ?
Son Carnaval est de la même eau sombre, joué avec une virtuosité hautaine, une absence de maniérisme, quelque chose là encore d’absolument logique. Ce n’est plus une suite de pièces, mais un univers. Mais il y a plus : une concordance parfaite avec le style et l’esprit du compositeur, une évidence des phrasés, la compréhension intime des polyphonies, la maîtrise naturelle des rythmes complexes, et lorsque les sphinxes paraissent, c’est le souvenir de Rachmaninov qui vient me troubler. Je vois que Kirill Gerstein a également enregistré la redoutable Humoreske, j’y reviendrai.
LE DISQUE DU JOUR
Modeste Moussorgsky (1839-1881)
Tableaux d’une exposition
Robert Schumann (1810-1856)
Carnaval, Op. 9
Kirill Gerstein, piano
Un album du label Myrios Classics MYR013
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Photo à la une : © DR