Grand écart

J’avais découvert Simon Ghraichy dans un stupéfiant album qui mettait en regard les Kreisleriana de Schumann et la Sonate de Liszt. Le voici à nouveau, aujourd’hui sous étiquette jaune, mais dans un tout autre univers, un aller-retour transatlantique sur le mode ibère, confrontant ou liant Ancien et Nouveau Monde, avec une pointe de transgression dès qu’on touche à la caraïbe – que ce soit avec la Marcha de los Jibaros de Gottschalk dont Benjamin Britten réemploiera le sinistre signal sonore à la coda de son Rape of Lucretia ou avec la Danzon, que le mexicain Arturo Marquez déduira du style cubain.

Simon Ghraichy l’a transcrite pour le piano avec le compositeur, elle ouvre l’album, et le referme dans un habillage de percussions. La pièce, assez développée, ouvre sur de nouveaux continents stylistiques, elle est l’aboutissement de tout ce que le programme musical enclot entre ses deux moutures mais aussi un tout autre univers.

Du vieux monde Debussy, Albéniz, Granados, Falla résument des idées diverses de l’Espagne. Sa Soirée dans Grenade ne contraste pas assez le dessin et la couleur, péché de jeunesse, alors que sa Maja au rossignol, phrasée au cordeau, montrant toutes les arrêtes verticales que tant gomment, serait quasi cubiste, de la grande musique moderne, et plus seulement un « après Chopin ».

Mais le clou de cette partie reste Andaluza, si idéalement venue, si irrésistible de duende, d’élan, juste âpre comme il faut, avec ses taconeo qui martèlent le paysage, du tout grand Falla lorsqu’on la joue ainsi. Quelle Fantaisie bétique il nous ferait ! Et l’Asturias d’Albéniz est de la même eau.

Outre-Atlantique, tout est parfait, senti, réalisé, parfois même avec une pointe de nostalgie amusée comme pour Odéon, jamais joué si peu festif, l’anti Moreira Lima, mais il en fait une telle musique !

Quelle belle idée d’avoir été pioché dans les Ponteios de Guarnieri, cycle majeur du piano du XXe siècle inconnu hors du Brésil hélas. Et les Villa-Lobos ! New York Skyline calligraphié comme je ne l’avais plus entendu depuis Roberto Szidon et l’éclaboussement de sons de Festa no Sertao !

L’album offre des commentaires aussi savants que pertinents sur chaque œuvre, signés Marcel Quillevéré, une mine ! Je me demande bien quel sera le second disque de Simon Ghraichy pour Deutsche Grammophon. Un talent si percutant ne doit pas manquer de projet.

LE DISQUE DU JOUR

Heritages

Œuvres d’Isaac Albeniz, Claude Debussy, Manuel de Falla, Louis-Moreau Gottschalk, Enrique Granados, Camargo Guarnieri, Ernesto Lecuona, Arturo Marquez, Ernesto Nazareth, Manuel Maria Ponce, Heitor Villa-Lobos

Simon Ghraichy, piano

Un album du label Deutsche Grammophon 481 5025
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Photo à la une : © Jean-François Meler