Née pour Schubert

Rien de plus difficile chez Schubert que cette entrée en accords mystérieux qui ouvre la Sonate en la mineur, D. 784. Bientôt va se lever une tempête. Il faut la sentir venir dès la première note, ne pas trop traîner, former le phrasé en le tendant imperceptiblement, ce qui ne se fait que par le jeu sur l’harmonie, la répartition du poids des doigts dans les accords qui soudain se font peintre. Il faut faire voir le paysage, le coup de vent qui reviendra, inexorable, mais aussi le personnage perdu dans le tableau dont le chant pourtant persiste et va éclater dans l’embellie, lorsque tout un orchestre de cuivre et de bois résonne, libérant le piano de son meuble.

Puis à nouveau le rythme de marche, impassible, maussade. Dieu quelle musique ! Si on ne comprend pas toute sa puissance suggestive, alors elle n’existe simplement pas. Maria Perrotta l’entend absolument, lui donne toute l’ampleur de son toucher profond et brillant, nourri par ce jeu de tout le corps qui porte le forte le plus orchestral et fait chanter le pianissimo le plus vocal, le plus tendre ou le plus esseulé.

Pour Schubert, elle a tout, et d’abord ce grand piano qui rappelle que le compositeur du Winterreise vouait un culte à Beethoven, au Beethoven des Sonates d’abord, source d’inspiration de quasiment tout ce qu’il aura écrit pour le clavier. Elle peut donc sans ciller tenter l’une des plus évidentes Sonate en si bémol majeur entendues ces derniers temps, et miracle parvient à ne pas faire paraître les deux derniers mouvements en deçà des deux premiers.

Si le trille métaphysique lui manque dans le Molto moderato – alors que Ran Jia le faisait sonner si naturel – mais pas le sens du développement et du temps long, secret schubertien absolu, les paysages de demi-lune de l’Andante, son rythme tendre et pourtant inextinguible saisissent par leur poésie évidente.

Tout cela enregistré live sur un Steinway magique tout juste sorti des ateliers de Hambourg, capté avec art par Roberto Furlan qui donne à entendre la belle acoustique du Salone Bolognini.

Maria Perrotta referme sa soirée Schubert avec la Grazer Fantasie qu’on ne joue plus guère alors qu’elle avait provoqué l’enthousiasme lorsque Lili Kraus la dévoila au disque en 1969. Page entre Weber et le salon, la forêt et Vienne, merveilleuse musique de caractère qu’elle caresse ou caracole avec le grand son rayonnant qu’on lui connaît. Album admirable qui veut la voir continuer chez Schubert.

LE DISQUE DU JOUR

Franz Schubert
(1797-1828)
Sonate pour piano No. 14
en la mineur, D. 784

Sonate pour piano No. 21
en si bémol majeur, D. 960

Grazer Fantasie, D. 605a

Maria Perrotta, piano

Un album du label Decca 4815068
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Photo à la une : © DR