Face aux chefs-d’œuvre

« Pianiste coréen, entièrement formé dan son pays natal ». Les hagiographes de Sunwook Kim y insistent, comme si ne pas avoir étudié – au contraire des artistes coréens des générations précédentes, à l’exemple de Kun Woo Paik – en Occident, Europe ou Etats-Unis, était en soi une forme d’exploit qui fondait son art. Mais les disques eux, circulent, et entendant Sunwook Kim peindre dans la profondeur de son clavier le final de la Waldstein comme si c’était un paysage de Friedrich, je me dis qu’il connait son Kempff sur le bout des doigts.

Car ce Beethoven si articulé, si plein, où le clavier tonne et respire, et pourtant si prompt à suggérer, est d’une très haute tradition germanique ; Schnabel, Kempff, Arrau dont sa sonorité sombre le rapproche tant ne l’auraient pas désavoué. C’est évident dans les trois sonates à titre jouées dans une logique de construction qui les assemble en un seul geste, et rejette l’anecdote pour faire rayonner la forme, exalter le discours, avec quelque chose de serré dans le chant, de minéral dans les couleurs qui éclate aussi tout au long de la Waldstein, l’une des plus belles depuis celle d’Emil Gilels.

Mais lorsque Sunwook Kim s’engage dans la Hammerklavier, faisant sonner son piano comme un orchestre, les bras m’en tombent : cette ampleur, cette profondeur, ce caractère si impérieux, c’est l’œuvre elle-même. Quelle révélation, qui se poursuit tout au long de l’opus. Lorsque la longue phrase de l’Adagio se déploie, prière émouvante, Serkin me vient en mémoire. Est-ce assez dire que ces deux albums qui annoncent une probable intégrale des Sonates renouent avec un Beethoven d’un autre temps, celui de ses champions du disque ? A vingt-huit ans, posséder un art si parfait, si radical !

Refermant les albums Beethoven, je m’immergeais dans son disque Franck-Brahms, enregistré durant les même sessions que celles de la Waldstein et de la Hammerklavier. André Furno, qui imposa Sunwook Kim à Paris, avait dépêché son magique Steinway (le 509830) à la Jesus-Christus-Kirche de Berlin, celle là même où Karajan et ses Berlinois enregistrèrent parmi leurs meilleurs disques.

Le Prélude, Choral et Fugue de Franck déploie sous ses doigts des sortilèges d’orgue, la Troisième Sonate de Brahms est une symphonie, affirmant le génie de ce pianiste qui ne se confronte qu’aux chefs-d’œuvre. Il a trouvé en Accentus Music , guidé par Paul Smaczny et Aki Matusch, un éditeur parfait qui soigne autant ses prises de son que la production finale des albums. Disques parfaits, déjà probablement éternels.

LE DISQUE DU JOUR


Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 21
en ut majeur, Op. 53
“Waldstein”

Sonate pour piano No. 29
en si bémol majeur, Op. 106 “Hammerklavier”

Sunwook Kim, piano

Un album du label Accentus Music ACC303551
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Ludwig van Beethoven
Sonate pour piano No. 8
en ut mineur, Op. 13
“Pathétique”

Sonate pour piano No. 14
en ut dièse mineur,
Op. 27 No. 2 “Clair de lune”

Sonate pour piano No. 23
en fa mineur, Op. 57
“Appassionata”

Sunwook Kim, piano
Un album du label Accentus Music ACC30409
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César Franck
(1822-1890)
Prélude, Choral et Fugue,
FWV 21

Johannes Brahms
(1833-1897)
Sonate pour piano No. 3
en fa mineur, Op. 5

Sunwook Kim, piano
Un album du label Accentus Music ACC303552
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Photo à la une : © DR