J’ai toujours eu une tendresse extrême pour L’Apothéose de Lully depuis que je l’ai découverte enfant dans l’opulente mais éloquente proposition de Jean-François Paillard, sans pourtant jamais être convaincu de ce qu’en tiraient les interprètes, sinon par l’approche si sensible, si « à part » de Jordi Savall et de ses amis. Bonheur !, voici que coup sur coup deux enregistrements me charment.
Christophe Rousset, qui jadis avec William Christie en avait offert à deux claviers une version inspirée y revient, parant cette fois son clavecin d’une jolie bande : deux violons, deux flûtes, deux hautbois, une viole, voilà qui fait un vrai concert d’instruments où les annonces des épisodes, dont Christophe Rousset se charge, se perdent un rien dans ces décors somptueux. Peu importe, hautbois, flûtes, violons tissent un hommage vibrant, et de toute façon, l’ensemble est conçu aussi pour parer la Grande « Sonade » en trio dédiée à L’Apothéose de Corelli. Il y a quelque chose de romain dans les délectations harmoniques des ornements, un côté pourpre derrière les musettes de hautbois, l’alliage des goûts italiens et français atteint un équilibre parfait.
Surprise supplémentaire, une cantate inconnue jusqu’alors, du disque en tous cas, Ariane consolée par Bacchus, ouvre l’album. Stéphane Degout lui donne tout l’élan d’un opus qui sans trouver les déploiements dramatiques des cantates laissées par Clérambault affiche une noblesse native qui en dit long sur ce que Couperin, désoccupé de ses orgues et de son clavecin, aurait pu offrir au genre. Stéphane Degout, parfait, trouve dans la viole de Christophe Coin un contrepoint inspirant, et le magnifique Amour, vante cette fois, si les micros avaient été plus sensibles à l’instrument à cordes, montreraient quelle entente les réunit ici.
Surprise, c’est justement Stéphane Degout, qui, pour Jonathan Cohen donne les « didascalies » de L’Apothéose de Lully. Plus de flûtes, plus de hautbois, mais deux violons, une « gambe », un luth qui marie ses cordes pincées à celles du clavecin, petit concert miraculeux de sensibilité qui ne perd pas en couleurs, mais gagne en émotion par le modelé des phrases, la profondeur des mélodies, comme si elles se miraient au timbre profus de Stéphane Degout dont elles semblent naître.
On se trouve dans un cercle plus intime, où tout se dessine d’évidence dans un discours fluide. Mercure a le pied bien léger comme il le faut, le geste d’Apollon est la plus gracieuse des invitations, vraiment tombée d’un nuage, les scories des adversaires de Lully le voyant monter au Parnasse dessinent de vrais visages, mobiles, effrayés et furieux à la fois, tout est si vivant justement par le petit nombre de ce concert, que d’ailleurs dicte la suite de l’album : les Trois Leçons de ténèbres se suffisent d’un luth, d’une viole et d’un orgue discret, car elles sont ici comme jadis elles le furent par Nadine Sautereau et Janine Collard incarnées en voix de corps, pénitences brûlantes, prières sensuelles, piétés offertes, où soudain, dans le plus français de Couperin, Rome paraît pourtant. La boucle est bouclée.
Bravo à Katherine Watson et à Anna Dennis, bravo à Jonathan Cohen pour nous les rendre ainsi, charnelles, ardentes, loin de Versailles, vraies musiques pour Le Caravage. Il fallait l’oser.
LE DISQUE DU JOUR
François Couperin (1668-1733)
Ariane consolée par Bacchus
L’Apothéose de Lully
La Paix du Parnasse
Le Parnasse ou l’Apothéose de Corelli
Stéphane Degout, baryton
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset, direction
Un album du label Aparté AP130
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François Couperin
L’Apothéose de Lully
Première Leçon de ténèbres à une voix
Seconde Leçon de ténèbres à une voix
Troisième Leçon de ténèbres à deux voix
Katherine Watson, soprano
Anna Dennis, soprano
Arcangelo
Jonathan Cohen, direction
Un album du label Hypérion CDA68093
Acheter l’album sur le site du label Hypérion Records, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr
Photo à la une : © DR