Bayreuth 1962, Wolfgang Windgassen peine plus qu’à son habitude à ne pas céder aux charmes de Vénus. Cette année-là, son Tannhaüser est bouleversé par une jeune chanteuse américaine qui campe la plus sensuelle, la plus impérieuse séductrice qu’ait jamais connue la colline sacrée. Cette Vénus noire aura fait la réputation internationale de Grace Bumbry, et sa légende.
Mais son répertoire wagnérien se limita à la déesse qu’on retrouve ici au détour d’un des CDs de cet hommage finement composé : le 4 janvier dernier, Grace Bumbry fêtait ses quatre-vingt ans. Tout le répertoire qu’elle enregistra pour Deutsche Grammophon s’assemble ici, dévoilant les facettes d’un art multiple : si son tempérament la portait d’évidence vers le théâtre lyrique, elle fut également une récitaliste de premier ordre, et plus particulièrement liedersängerin comme le prouvent des Brahms, des Schubert, des Wolf, des Strauss magnifiques ; en fouillant dans les live, DGG aurait pu y ajouter une stupéfiante scène finale de Salomé.
C’est Lotte Lehmann qui l’aura guidée dans ce répertoire et dans cette langue, elle devra son français parfait à Pierre Bernac : Carmen imparable – le DVD du coffret l’y montre à Salzbourg, pour Karajan, leçon de style – Chimène jadis pour Le Cid de Domingo (mais cela est chez son autre éditeur, Sony), Thaïs, Dalila (écoutez seulement ses « Samson » à la fin de Mon cœur s’ouvre a ta voix, Sapho, et même la Jeanne d’Arc de Tchaïkovski en français comme on faisait alors.
Si l’on veut prendre la mesure de cette voix qui évolua du grand mezzo au soprano dramatique, un itinéraire Verdi sera révélateur : on l’entend ici en Eboli (pour la gravure légendaire de Solti mais pas seulement) et en Elisabeth, en Azucena et en Aida, en Ulrica et en Lady Macbeth. L’art et le style, partout ce théâtre qui ne renonce jamais à la musique, et la plénitude d’un timbre voluptueux qui ne s’oublie pas.
Généreux, l’éditeur ajoute deux oratorios de Haendel de son temps américain, emportés avec fougue par Maurice Abravanel, tirés du catalogue Westminster. La distribution d’Israël en Egypte est modeste, celle de Judas Maccabeus fait entendre l’autre grande soprano noire de cette génération, Martina Arroyo – qui aura un jour l’idée de réunir tous les enregistrements d’Arroyo ?
Coffret somptueux, indispensable à toute discothèque lyrique.
LE DISQUE DU JOUR
The Art of Grace Bumbry
Œuvres de Bizet, Brahms, Falla, Gluck, Haendel, Liszt, Mascagni, Bizet, Gounod, Saint-Saëns, Schubert, Tchaïkovski, Verdi, Wagner, Wolf
Grace Bumbry, mezzo-soprano
Un coffret de 8 CD et 1 DVD du label Deutsche Grammophon 4827626
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Photo à la une : © DR