La plainte mélismatique du Polo résonne, ardente, feulée, on voit les gitans assemblés, on entend les rasgueado des tocadors, le taconeo de la danseuse. Qui chante ainsi l’ultime des Sept chansons populaires espagnoles de Manuel de Falla ? Nadège Rochat, déployant le plus vocal des violoncelles qui en remontre à la plus farouche des mezzo-sopranos. Transcription ? D’elle–même et de son guitariste. Il y a du duende dans cet archet, un élan, une plainte aussi que vient aviver la guitare virtuose et amère du grand Rafael Aguirre, partenaire du second album de cette violoncelliste prodige qui fit sensation à ses débuts au Konzerthaus de Berlin en 2010. La femme est aussi belle que l’artiste, ce qui ne s’entend pas au disque, car la préoccupation première de son art n’est certainement pas esthétique.
Tout pour l’expression au contraire ! Il faut entendre comment elle pleure l’Oriental de Granados ou danse, allègre, avec une exultation débridée la danse de La Vida breve qui nomme l’album : son violoncelle s’envole. Le voyage espagnol se poursuit en argentine, tangos, tanguillos, deux Piazzolla à tomber et puis Volver, chanté de la pointe de l’archet avec une sorte de désinvolture où le pas des danseurs paraît, merveille !
Avant cet album parfait et osé, Nadège Rochat avait dédié son premier disque au répertoire français. Un Concerto de Lalo emporté d’un trait, sombre, tourmenté m’étonne toujours : écoutez seulement la rumination de la première page de l’Andante qui ouvre le Finale, avant que ne s’élance le farouche rondo ! Elle y ajoutait le Premier Concerto de Milhaud, le jouant très libre, divagant, délicieusement heureux : on n’y avait pas fait mieux depuis Natalia Gutman ! Au chapitre Lalo, Ola Rudner et sa Philharmonie de Reutlingen, accompagnateurs parfaits, ajoutaient deux opus assez rares : le spectaculaire Scherzo et le Divertissement pour orchestre de 1872, composé à partir des musiques de ballets tirées de Fiesque.
Mais voici qu’un nouveau disque de la belle Helvète me parvient, confrontant le Concerto de Walton et celui d’Elgar, doublé en fait rarement osé, tant les œuvres sont antinomiques. Les panoramiques saisissants déployés par Walton sont peints à fresque par Paul Meyer et la Staatskapelle Weimar. Quel écrin, quels éclairages de couchers de soleil dans lesquels Nadège Rochat glisse un chant ombreux, vocal, où le violoncelle construit à son intention par Francis Kuttner, sonne glorieusement.
Puis l’œuvre s’anime, l’archet fuse, si vif, dessinant avec virtuosité ce concerto-poème dont je ne me lasse jamais, véritable rêve éveillé. Son violoncelle y chante autant qu’il parle, vertu cardinale qu’elle applique aussi au Concerto d’Elgar, joué profond, profus, ample, sans sentimentalité mais avec une émotion, un caractère automnal, que contredit cet archet qui articule tout, ne cache rien du texte, fait ce chant du cygne bouleversant justement en évitant d’en surcharger l’affect. Là encore, Paul Meyer l’entoure d’un poème d’orchestre savant.
Album merveilleux qui offre en son centre, respiration éloquente entre les deux grands concertos, l’Élégie écrite au cœur de la Grande Guerre par Ina Boyle Website, compositeur trop oublié et resté à la marge des institutions musicales britanniques qui lui reprochait d’être non seulement une femme mais en plus irlandaise ! Une autre œuvre pour violoncelle et orchestre, le Psaume de 1927, sera peut-être demain l’occasion d’un second volume de concertos anglais. J’entendrais bien le violoncelle sensible et éloquent de Nadège Rochat dans celui de Gerald Finzi ou dans Oration de Frank Bridge.
LE DISQUE DU JOUR
Enrique Granados (1867-1916)
Goyescas, opéra
(extrait : Intermezzo – arr. pour violoncelle et guitare)
12 Danzas españolas
(extrait : II. Oriental – arr. pour violoncelle et guitare)
Manuel de Falla (1876-1946)
Siete Canciones Populares Españolas (arr. pour violoncelle et guitare)
La vida breve (extrait : Danse – arr. pour violoncelle et guitare)
Maurice Ravel (1875-1937)
Vocalise-étude en forme de Habanera, M. 51 (arr. pour violoncelle et guitare)
Gaspar Cassadó (1897-1966)
Requiebros (arr. pour violoncelle et guitare)
Egberto Gismonti (né en 1947)
Agua e vinho (arr. pour violoncelle et guitare)
Astor Piazzolla (1921-1992)
Libertango (arr. pour violoncelle et guitare)
Nightclub (arr. pour violoncelle et guitare)
Oblivión (arr. pour violoncelle et guitare)
Sérgio Assad (né en 1952)
Menino (arr. pour violoncelle et guitare)
Carlos Gardel (1890-1935)
Volver (arr. pour violoncelle et guitare)
Agustín Lara (1897-1970)
Granada (arr. pour violoncelle et guitare)
Nadège Rochat, violoncelle
Rafael Aguirre, guitare
Un album du label ARS-Produktion 38159
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Édouard Lalo (1823-1892)
Concerto pour violoncelle et orchestre en ré mineur
Divertissement pour orchestre
Scherzo pour orchestre en ré mineur
Darius Milhaud (1892-1974)
Concerto pour violoncelle et orchestre No. 1, Op. 136
Nadège Rochat, violoncelle
Württembergische Philharmonie Reutlingen
Ola Rudner, direction
Un album du label ARS-Produktion 38119
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Sir William Walton (1902-1983)
Concerto pour violoncelle et orchestre
Ina Boyle (1889-1967)
Élegie pour violoncelle et orchestre
Sir Edward Elgar (1857-1934)
Concerto pour violoncelle et orchestre en mi mineur, Op. 85
Nadège Rochat, violoncelle
Staatskapelle Weimar
Paul Meyer, direction
Un album du label ARS-Produktion 38221
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Photo à la une : © Ars Produktion