Dresde 1951, Rudolf Kempe enflamme le Rosenkavalier de sa direction éperonnée, la Staatskapelle qui avait crée l’ouvrage le 26 janvier 1911. La gravure est restée quasi confidentielle, vite démodée par les enregistrements impeccables d’Erich Kleiber puis de Herbert von Karajan, le premier venant du théâtre, avec une vraie troupe, l’autre composant au studio une vision idéalisée du chef-d’œuvre « rose » de Strauss qui n’a pas pris une ride.
Vous l’aurez compris, Kempe est lui aussi tout entier porté par une vraie troupe de théâtre et les traits saillants dont il anime sa lecture composent une comédie bourgeoise, qui grince et ne craint pas la charge. C’est brillant et cruel, peu soucieux d’hédonisme, Margarete Bäumer fait une Maréchale pleine de caractère, décoiffante, inhabituelle, qui en froissera plus d’un, grande voix plus proche d’Ursuleac que de Della Casa, c’est certain. Mais comment ne pas céder devant l’élan de la Sophie d’Ursula Richter, jamais oie blanche, amoureuse éperdument de son Octavian dès le premier regard. Octavian, ici, c’est une légende de Dresde, Tiana Lemnitz elle-même, inaugurant la dernière période de sa carrière. Le timbre s’est alourdi, mais les mots enchantent toujours, et la voix projette dans le sombre pourtant cette lumière qui ne fut qu’à elle.
La comédie est alerte, l’Acte II, avec un époustouflant Kurt Böhme, Ochs « énhaurme », aussi anthologique que celui d’Erich Kleiber à Vienne, le III délirant. Tout cela très peu coupé comme on faisait toujours à Dresde, où Ochs chante plus que partout ailleurs dans le monde. Et enfin, l’édition artistement ouvragée – le livret est une mine d’informations bardée d’une iconographique superbe – se fonde sur les bandes originales, enlevant l’acidité qui handicapait les rares éditions précédentes en CD.
L’éditeur ajoute un quatrième disque, regroupant des gravures datant du 78 tours où paraissent des chanteuses affiliées à l’Opéra de Dresde, les créateurs, la Maréchale de Siems, l’Octavian de Von Osten, la Sophie de Nast saisis sortant tout juste de scène, le chef n’est pas nommé, c’est probablement Von Such. Quelle leçon de style !
De grands extraits d’une représentation au Colon de Buenos Aires, génialement dirigée vif argent par Fritz Busch, font entendre la Maréchale impeccable de Germaine Hoerner et l’Octavian de Lemnitz à son sommet, en 1936, mais elle y est encore fastueuse pour la Radio de Berlin en pleine guerre (1942, Arthur Rother dirige).
Si le trio final était connu, dépareillé par une Paula Buchner incertaine, la Présentation de la rose où Lemnitz enlace Cebotari l’est beaucoup moins, merveille absolue. Évidemment, les faces officielles gravées par Karl Böhm en 1938 et 1940 paraissent également, l’Octavian de Hongen, la Sophie de Réthy, modèles, laissent pourtant la primauté à cet orchestre où pour la première fois paraît cette vertu coupable du langage straussien : l’hédonisme.
Album fascinant, qui s’ajoute à la discographie si étoffée, si passionnante, d’un ouvrage inusable.
LE DISQUE DU JOUR
Richard Strauss (1864-1949)
Der Rosenkavalier, Op. 59,
TrV 227
Margarete Bäumer, soprano (Feldmarschallin)
Kurt Böhme, basse
(Baron Ochs)
Tiana Lemnitz, soprano
(Octavian)
Hans Löbel, baryton (Herr von Faninal)
Ursula Richter, soprano (Sophie)
Werner Liebing, ténor (Der italian Sänger)
Franz Sautter (Valzacchi)
Emilie Walther-Sacks, soprano (Annina)
Angela Kolniak, soprano (Marianne)
Erich Händel, basse (Notar)
Karl-Heinz Thomann, baryton (Ein Singer)
Choeur de l’Opéra de Dresde
Staatskapelle Dresden
Rudolf Kempe, direction
Un coffret de 4 CD du label Hänssler/Profil PH16071
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Photo à la une : © DR