La veine légère – même faussement légère comme ici – chez Saint-Saëns est toujours délicieuse, et cette Proserpine sur le seul papier à musique me charmait déjà. La jolie comédie italienne avec fin tragique que Saint-Saëns brossa sur la tragédie romanesque d’Auguste Vacquerie partit littéralement en fumée ; décor, costume, matériel de musique flambèrent dans l’incendie de l’Opéra-Comique.
L’Italie de l’action a quelque chose de celle de Béatrice et Benedict, l’orchestre de Saint-Saëns y brille d’une légèreté de plume enivrante, virtuose, comme si l’auteur libéré de l’antique de Samson et Dalila, des Barbares, prenait enfin le vent des Modernes. Le charme sensuel du Premier Acte n’est pas si loin de Massenet.
Le suicide par amour insatisfait de l’héroïne commande un acte ultime dont les tensions font volte face avec le reste de l’ouvrage, mais comment résister à cette musique si inspirée et si habile en même temps ! Le Palazzetto Bru Zane a réuni une distribution parfaite (mention spéciale à l’Orlando de Mathias Vidal) dominée par le Sabatino stylé de Frédéric Antoun et la Proserpine subtilement composée de Véronique Gens, mais tous seraient à citer tant l’esprit d’équipe emporte autant la comédie que le drame, Ulf Schirmer conduisant l’ouvrage avec lyrisme, jouant de toute la vaste palette employée par Saint-Säens. Je rêve que demain cette fine équipe nous enregistre Ascanio, mais le Palazzetto se penchera d’abord sur Le Timbre d’argent, qui s’en plaindrait ?
Justement, Véronique Gens dédie son nouveau récital à l’opéra romantique français où parait l’air de Béatrix d’Étienne Marcel, seule incursion chez Saint-Saëns d’un programme tout entier composé de raretés. L’air de Lalla Roukh de Félicien David, celui de la Gismonda d’Henry Février, l’air de Jeanne des Guelfes de Godard sont autant d’invites pour le Palazzetto d’y aller voir, guidé par la splendeur de cette voix et par la science qu’y déploie les accompagnements d’Hervé Niquet.
D’ailleurs, c’est le Palazzetto qui soutient l’entreprise, comme il aura été à l’origine d’un des plus stupéfiants disques Saint-Saëns jamais publiés : dix-neuf mélodies habillées d’orchestrations qui frôlent le génie et dont les partitions ont été établies par le Palazetto d’après les sources manuscrites. Et voici soudain que paraît un alter égo à Duparc, rien moins, dont l’invention laisse sans voix, surtout défendue par des chanteurs aussi artistes que Yann Beuron et Tassis Christoyannis, aussi à l’aise dans l’élégie, la scène de genre que dans la ballade dramatique. Disque passionnant, où Markus Poschner fait rayonner l’Orchestre de la Suisse Italienne, visiblement enthousiasmé devant la découverte. Et nous donc !
LE DISQUE DU JOUR
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Proserpine
Véronique Gens, soprano (Proserpine)
Marie-Adeline Henry, soprano (Angiola)
Frédéric Antoun, ténor (Sabatino)
Andrew Foster-Williams, baryton-basse (Squarocca)
Jean Teitgen, basse (Renzo)
Mathias Vidal, ténor (Orlando)
Philippe-Nicolas Martin, baryton (Ercole)
Artavazd Sargsyan, ténor (Filippo, Gil)
Clémence Tilquin, soprano (Une religieuse)
Flemish Radio Choir (chef de chœur : Edward Caswell)
Münchner Rundfunkorchester
Ulf Schirmer, direction
Un livre-disque de 2 CD du label Ediciones Singulares ES 1027
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Visions
Airs d’opéras et d’oratorios d’Alfred Bruneau, César Franck, Louis Niedermeyer, Benjamin Godard, Félicien David, Henry Février, Camille Saint-Saëns, Jules Massenet, Fromental Halèvy, Georges Bizet
Véronique Gens, soprano
Münchner Rundfunkorchester
Hervé Niquet, direction
Un album du label Alpha Classics 279
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Camille Saint-Saëns
Angélus
L’attente
Rêverie
La Brise (extrait des 6 Mélodies persanes, Op. 26)
Extase
La Feuille de peuplier
L’Enlèvement
Les Fées
Souvenances
Désir d’amour
Les Cloches de la mer
La Splendeur vide (extrait des 6 Mélodies persanes, Op. 26)
Le Pas d’armes du Roi Jean
La Cloche
Papillons
Plainte
Aimons-nous
Au cimetière (extrait des 6 Mélodies persanes, Op. 26)
Danse macabre, Op. 40 (version avec voix)
Yann Beuron, ténor
Tassis Christoyannis, baryton
Orchestra della Svizzera Italiana
Markus Poschner, direction
Un album du label Alpha Classics 273
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Photo à la une : © DR