Il y a parfois des miracles. Je me souviens encore d’Irma Kolassi un jour où je travaillais avec elle L’Invitation au voyage dans son studio du Boulevard Pereire. Avant « Les soleils mouillés », elle s’interrompt au piano – car elle était également une pianiste émérite – regrettant de n’avoir jamais enregistré Duparc. Puis d’ajouter « Ce n’est pas pour ma voix ».
Je collectionnais déjà ses disques depuis quelques années, et je pensais au contraire que Duparc lui serait allé comme un gant. Elle n’aimait pas s’entendre, sinon dans Miroirs de Caplet dirigé par Capdevielle, bande qui dort dans les archives de l’INA et dont elle s’était fait faire une copie sur cassette. Là, elle reconnaissait sa voix, aussi dans sa Jocaste pour l’Oedipus Rex où la dirigeait Stravinski, mais ailleurs guère. Pourtant, je la sentais fière de ses disques, sentiment qui se confirma le jour où je lui proposais de rééditer dans un album dont les mélodies de Jacques Leguerney étaient le prétexte, ses rares Lumen. Un instant, son sourire l’aura trahi avant d’ajouter ce bémol, « pas mes meilleures années ».
Je l’imagine aujourd’hui, cinq ans après sa mort, recevant les deux albums où tous ses Decca sont pour la première fois regroupés, un grand sourire aux lèvres et déjà l’œil qui doute. Elle aurait aimé le texte informé et juste de Tully Potter, le soin de l’édition qui fait retrouver en un portofolio les couvertures originales des albums microsillons, la qualité même des reports.
Tout y est, des merveilleux et trop eu connus Cantos populares españolas de Joaquín Nin, savoureux mais sans sollicitations excessives et où brille le piano d’André Collard, aux Fauré si stylés, aux Debussy qui sont restés des modèles pour la diction et le sentiment ; une fois son Promenoir, ses Bilitis entendues, on ne peut s’en déprendre.
Toutes les Arie Antiche, en deux volumes, si désuètes, si séductrices pourtant y sont, comme ces quelques Lieder (Schumann, Schubert), qu’elle tenait avec un brin de coquetterie comme sa face la plus achevée – son Musensohn ne la démentit pas, ni Erkölnig d’ailleurs. Deux miracles, l’un bien connu – son Poème de l’amour et de la mer, modèle inaltéré de ce que chanter en français signifie – et le trop peu de Ravel qui parait ici, Mélodies populaires grecques croquées sur le vif par deux fois, Chansons madécasses torpides, en attendant qu’un jour peut-être le disque retrouve sa Shéhérazade au Concertgebouw avec Monteux, objet absolu de sa fierté de chanteuse.
A tout cela s’ajoute les pages qu’elle enregistra seule ou en duo avec Raoul Jobin tirées de Werther, de Roméo et Juliette (Gounod), de La Damnation de Faust. Cette Ardente flamme qui ne saurait s’éteindre et qui brille ici à plein.
LE DISQUE DU JOUR
Irma Kolassi
The Decca Recitals
Joaquín Nin (1879-1949)
8 Cantos populares españoles
Maurice Ravel (1875-1937)
5 Mélodies populaires grecques (2 versions)
Chansons madécasses, M. 78
Louis Aubert (1877-1968)
6 Poèmes arabes (extraits : Nos. 2 & 3, Le vaincu & Le visage penché)
Darius Milhaud (1892-1974)
8 Poèmes juifs*
Gabriel Fauré (1845-1924)
La chanson d’Eve, Op. 95*
Soir, Op. 83 No. 2
Automne, Op. 18 No. 3
Cinq Mélodies de Venise, Op. 58 (extrait : I. Mandoline)
Claude Debussy (1862-1918)
Le Promenoir des deux amants, L. 118*
Fêtes galantes I, L. 80 (2 extraits : I. En sourdine, II. Fantôches)*
Trois chansons de Bilitis, L. 90*
Ernest Chausson (1855-1899)
Poème de l’amour et de la mer, Op. 19**
Robert Schumann (1810-1856)
Myrten, Op. 25 (2 extraits : Nos. 1 & 7, Widmung & Die Lotusblume)
Liederkreis, Op. 39 (extrait : I. In der Fremde)
Franz Schubert (1797-1828)
Der Musensohn, D. 764
Du bist die Ruh, D. 776
Der Erlkönig, D. 328
Et aussi :
Oeuvres de Hector Berlioz, Giulio Caccini, Marc’ Antonio Cesti, Andrea Falconieri, Georg Friedrich Haendel, Jules Massenet, Claudio Monteverdi, Giovanni Paisiello, Giovanni Battista Pergolesi, Alessandro Scarlatti
2 Chansons populaires espagnoles (Arr. Koeckert)*
8 Chansons populaires grecques*
2 Chansons populaires grecques
Irma Kolassi, mezzo-soprano
Jacqueline Bonneau, piano
*André Collard, piano
Geoffrey Gilbert, flute
William Pleeth, violoncelle
**London Philharmonic Orchestra
London Symphony Orchestra
**Louis de Froment, direction
Anatole Fistoulari, direction
Un album du label Decca 4824637 (Collection Eloquence Australia)
Acheter l’album sur le site de la collection Eloquence Australia, sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute qualité sonore sur Qobuz.com
Irma Kolassi & Raoul Jobin
Arias & Duos
Charles Gounod (1818-1893)
Roméo et Juliette, CG 9
« O nuit ! sous tes ailes obscurs »
« L’amour ! L’amour ! oui, son ardeur a troublé »
Raoul Jobin, ténor
Pierre Mollet, baryton
Choeur du Théatre National de l’Opéra de Paris
Orchestre du Théâtre Nationale de l’Opéra de Paris
Alberto Erede, direction
Hector Berlioz (1803-1869)
La Damnation de Faust, Op. 24
« Sans regrets j’ai quitté les riantes campagnes »
« Autrefois un roi de Thulé »
« Grands dieux ! Que vois-je ? »
« D’amour l’ardente flame »
« Nature immense »
Jules Massenet (1842-1912)
Werther
« Je ne sais si je veille »
« Oui, ce qu’elle m’ordonne … Lorsque l’enfant revient d’un voyage avant l’heure »
« Werther ! Werther … qui m’aurait dit la place »
« Ah! Mon courage m’abondonne ! … Oui ! C’est moi … Pourquoi me réveiller … N’achevez pas »
Irma Kolassi, mezzo-soprano
Raoul Jobin, ténor
London Symphony Orchestra
Anatole Fistoulari, direction
Un album du label Decca 4824637 (Collection Eloquence Australia)
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Photo à la une : © DR