Lumière de l’hiver

L’ultime Sonate de Schubert a de la chance au disque ces derniers temps. Après l’émerveillement provoqué par Ran Jia qui signait avec elle son premier disque, Maria Perrotta la faisait lyrique au possible, l’unifiant de propos, de tempo, geste fluide, piano nacré, pour elle qui est encore au début de sa vie de pianiste, c’était déjà beaucoup.

Et voici que Đặng Thái Sơn, au sommet de son art, l’enregistre.

Le tempo du Molto moderato est rapide presque, le trille, modeste, n’interroge pas, il assombrit un temps ce piano qui déjà pense au second thème, à sa lumière, à ses jeux dans l’aigu, à ses suspensions aériennes. C’est joué comme du Mozart ; comme du Mozart, cela chante d’abord, sans métaphysique, absolument viennois, sans les encombrements du romantisme d’après Beethoven : c’est d’une telle clarté de propos, d’une telle simplicité de dessin que cela laisse d’abord sans voix. Une pointe de tragique paraît dans la reprise de la première section, mais juste effleurée, fuyant le pathos. Tout reste en équilibre sur une corde que ce toucher magique fait à peine trembler.

La barcarolle de l’Andante peut bien venir, échappant de cette nuit où s’est endormi le Molto moderato, un gondolier très Leiermann y chante un vrai Winterreise, et le ciel n’a plus une étoile, Đặng Thái Sơn coupe les respirations mais préserve une grande ligne d’harmonies, on aura rarement été autant dans le texte de Schubert, Ran Jia et Wilhelm Kempff, eux aussi, faisaient ainsi.

À la manière de Schnabel, les deux derniers mouvements font divertissement, le piano se métamorphose en hautbois, en fifres, en trompes, cela danse et fuse dans un toucher divin, caresse et pique, clavier mobile à l’extrême.

À tant de soleil répond l’étrange postlude de l’Allegretto en ré mineur, vrai chant de Leiermann lui aussi, esseulé, toujours recommencé et soudain sous les doigts de Đặng Thái Sơn d’un désespoir cosmique. Impossible de ne pas souffrir.

À quoi s’ajoute la guirlande des Ländler D. 790 joués sans poudre et sans cotillon, dans leurs beautés les plus nues mais d’un clavier plein, ample, sonore et soudain dans le Troisième quelque chose d’un clair obscur que Brahms aurait pu écrire, effet saisissant qui me fait espérer que demain Đặng Thái Sơn gravera tous les ultimes cahiers à compter de l’Opus 76.

LE DISQUE DU JOUR

Franz Schubert (1756-1791)
Sonate pour piano No. 21 en si bémol majeur, D. 960
Allegretto en ré mineur, D. 915
Ländler, D. 790

Đặng Thái Sơn, piano

Un album du label Victor VICC60945
Acheter l’album sur le site www.hmv.co.jp

Photo à la une : © DR