L’infini

Je me suis toujours demandé pourquoi Günther Herbig était si discret au disque. Une carrière derrière le rideau de fer jusqu’à l’orée des années quatre-vingt n’a pas facilité les choses, ses gravures pour ce qui est devenu Berlin Classics circulaient peu – je me souviens de Symphonies de Haydn et de Brahms qu’on me ramenait du Japon ! où Denon les publiait sous licence – mais enfin une fois qu’on avait entendu Herbig au concert, on cherchait tout ce qu’il avait enregistré !

Cette élégance jusque dans le plus noir, ces transparences jusque dans la furia, quel art si racé, si tenu et si éloquent ! un classique chez les expressionnistes qui métamorphosait l’Héroïque de Beethoven, la Quatrième de Brahms, relisait drastiquement Chostakovitch et Mahler.

Et chez Bruckner, tant de lumière, des tempos si allants, cet orchestre qui ne pèse plus rien, orgue véritable, celui-là même que sut également susciter à la fin de sa vie son alter ego à l’Ouest, l’autre Günther, Günther Wand.

Et bien, les Bruckner de Günther Herbig, les voici enfin. Il aura attendu que ses soixante-dix ans s’effacent (pour paraphraser Ernst Jünger) pour les confier au disque via le concert. Car Günther Herbig renâcle toujours à entrer au studio. Avec lui, tout est si préparé, si parfaitement en place, le concert lui offre ce surcroît de mobilité, d’invention, d’émotion que le studio justement briderait.

Dans la belle acoustique de la Congresshalle de Stuttgart, avec un orchestre dévoué – la Deutsche Radio Philharmonie de Saarbrücken – il fait danser la plus immobile des symphonies, cette 5e dont les colonnes n’auront jamais été aussi aériennes. « Leicht », s’exclame-t-il souvent en répétition. Le temps n’y est nullement arrêté, il file, fluide, comme un dieu ailé.

Cette même lumière quasi aveuglante emporte dans une même légèreté une Septième plus du tout tristanesque, frémissante, arquée, où le souvenir de Schubert semble omniprésent, et la terrible Huitième elle-même échappe à ses prophéties, svelte, fulgurante, avec par moments une pointe de folie dans l’exaltation qui entraîne tout l’orchestre : car si l’art d’Herbig veut avant tout la mesure, et même un certain classicisme, soudain une transcendance l’entraîne ailleurs.

J’espère bien qu’on tient là, même enregistrés à dix années de distance, les premiers volumes d’une intégrale.

LE DISQUE DU JOUR


Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 5 en si bémol majeur, WAB 105

Deutsche Radio
Philharmonie

Günther Herbig, direction

Un album du label perc.pro 50192016
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Anton Bruckner
Symphonie No. 7 en mi majeur, WAB 107
Symphonie No. 8 en ut mineur, WAB 108

Deutsche Radio
Philharmonie

Günther Herbig, direction

Un album du label perc.pro 50192016
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Photo à la une : © DR