D’un Bal l’autre

Covent Garden en 1975 reprend l’inusable spectacle d’Otto Schenk, pure tradition habile que John Vernon capte platement. L’image a vieilli mais pas forcément le style qui colle au propos de Verdi et respecte cet ouvrage de demi-caractère, plus d’une fois j’y reviens et m’étonne de la justesse, sinon du propos.

Côté musique, c’est la fête absolue, Abbado cherchant le style et jouant classique au contraire de la tension qu’y mettait la même année dans le même théâtre, mais pour le disque, Riccardo Muti qui avait aussi le Riccardo (Gustavus III ici) de Domingo, les notes graves magiques de sa ballade, son personnage de héros romantique tourmenté que ni Pavarotti ni Carreras n’osèrent à ce degré de sombre.

Ricciarelli lui répond, Amelia de style et de feu, dans toute la beauté de sa voix alors à son zénith et dans le simple rayonnement de sa blondeur en scène, plus Desdemona encore qu’Amelia dans son Morro, ma prima in grazia d’anthologie. Rien que pour ces deux-là, la soirée est inoubliable, mais vous aurez aussi Cappuccilli, le plus stylé des Renato, l’Oscar inusable de Reri Grist, et, star locale, la Madame Arvidson si bien chantée mais si peu italienne d’Elizabeth Bainbridge – peu importe ! la production de Londres reprenait la dénomination des rôles historiques : on est en Suède, paraît-il.

Moins d’enthousiasme pour la production de Munich, très intelligente, qui s’ouvre sur Ulrica en Parque tirant les fils du drame, met une touche de cinéma d’entre-deux-guerres dans sa dramaturgie bourgeoise et ses images léchées à force de couleurs froides, faisant le bal dans une chambre, manière peut-être d’expliciter ce drame de l’adultère. C’est bien vu, porté par une vraie direction d’acteurs, habilement filmé, mais ennuie assez vite.

La faute à Zubin Mehta, venu enfin, mais bien tard, à ce Ballo dont il ne tend pas une ligne (il ne faudrait pas lui confronter Mitropoulos), s’abandonnant aux délices des Munichois, les savourant à n’en plus finir, ce qui parfois créé des moments vertigineux lorsque l’orchestre est seul – tout le Prélude de l’Acte II, à tomber par son art évocateur – mais délite le Bal lui-même et tant d’autres moments.

Autre paille, Piotr Beczala égaré dans un rôle dont il n’a ni la vitalité ni les remords, voix désormais sans le soleil des aigus, d’un bloc, loin des élégances d’un Carreras. Il se débride un rien avant de mourir mais la morbidezza lui manque alors. Est-il médusé par son Amelia, Anja Harteros, qui prenait alors le rôle, voix en flamme, style ardent, allant au feu des aigus avec un aplomb qui rappelle pas moins qu’Anita Cerquetti ?

Elle est géniale, emporte la soirée par l’urgence de son chant, là où toute une troupe stylée l’entoure avec admiration et un rien de froideur – mention spéciale à l’Ulrica d’Okka von der Damerau, impeccable. Pour l’étoile Harteros, pour le spectacle aussi, ce Ballo s’écoutera, se regardera, se gardera, en attendant que cette Amelia se fixe au disque d’ici quelques années, une fois que la scène l’aura plus étreinte encore et avec un chef qui lui soit autrement accordé.

LE DISQUE DU JOUR


Giuseppe Verdi (1813-1901)
Un ballo in maschera

Plácido Domingo, ténor (Gustavus III – Riccardo)
Katia Ricciarelli, soprano (Amelia)
Piero Cappuccilli, baryton (Anckarström – Renato)
Reri Grist, soprano (Oscar)
Elizabeth Bainbridge, mezzo-soprano (Madame Arvidson – Ulrica)
Gwynne Howell, basse
(Ribbing – Samuel)
Paul Hudson, basse (Horn – Tom)
William Elvin, baryton-basse (Christian – Silvano)
John Carr, ténor (Le domestique d’Amelia)
Francis Egerton, ténor (Arnfelt)

Royal Opera Chorus
Orchestra of the Royal Opera House, Covent Garden
Claudio Abbado, direction
Otto Schenk, mise en scène
John Vernon, réalisateur

Un DVD du label Opus Arte OA1236D
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Giuseppe Verdi
Un ballo in maschera

Piotr Beczała, ténor
(Gustavus III – Riccardo)
Anja Harteros, soprano (Amelia)
George Petean, baryton
(Anckarström – Renato)
Sofia Fomina, soprano (Oscar)
Okka von der Damerau, mezzo-soprano (Madame Arvidson – Ulrica)
Anatoli Sivko, basse (Ribbing – Samuel)
Scott Conner, basse (Horn – Tom)
Andrea Borghini, baryton (Christian – Silvano)
Joshua Owen Mills, ténor (Le domestique d’Amelia)
Ulrich Reß, ténor (Arnfelt)

Chor der Bayerischen Staatsorchester
Bayerisches Staatsorchester
Zubin Mehta, direction
Johannes Erath, mise en scène
Tiziano Macini, réalisateur

Un DVD du label C Major Entertainment 739408
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Photo à la une : © DR