Enfant prodige, puis tout jeune homme adoubé par Otto Klemperer qui accompagnera sa première intégrale des Concertos de Beethoven, Daniel Barenboim avait fixé au cours des années soixante son destin de pianiste avec une intégrale des Sonates du même Beethoven qui stupéfia le monde musical d’autant plus qu’elle fut enregistrée en quelques sorte au débotté.
Mais le jeune homme rêvait d’orchestre, EMI lui offrit d’ailleurs ses premiers disques en la matière, Verklärte Nacht de Schoenberg, Te Deum de Bruckner, son avenir au sein du plus britannique des labels semblait l’évidence. Mais non, tout en restant chez EMI, Barenboim signa un contrat auprès de la CBS qui s’implantait alors à Londres : la firme américaine lui laissait carte blanche pour enregistrer absolument ce qu’il souhaitait en tant que chef d’orchestre.
Le coup d’envoi de cette nouvelle aventure fut pourtant américain : une stupéfiante 4e Symphonie de Tchaikovski enregistrée en janvier 1971 avec l’orchestre de Leonard Bernstein et sous son regard paternel montre un New York Philharmonic chauffé à blanc. Le disque restera inexplicablement peu connu en Europe où il fut diffusé au compte goutte. La suite de l’entreprise se déroulerait entièrement à Londres, où Barenboim et son épouse, Jacqueline du Pré, s’étaient établis.
Ce serait d’abord une vaste anthologie de l’œuvre d’orchestre de Sir Edward Elgar, dont la musique était au centre des discussions passionnées entre l’apprenti chef d’orchestre et son mentor, Sir John Barbirolli. Les Symphonies telles que les entendait Barenboim – refus du tempo unitaire, lecture quasi expressionniste, emploi d’un rubato qui permettait d’entendre toutes les complexités de l’écriture – surprirent plus qu’elles ne convinrent. D’où vient – que j’aime tant – ce sentiment d’infinie nostalgie qu’elles produisent ? Mais pour la suite de cette saga Elgar, le succès fut sans ombre, Falstaff formidable de caractérisation, In the South tempétueux, véritable hommage à Barbirolli, Cockaigne tendre et savoureux à souhait, Pomp and Circumstances épiques mais lustrées, Concerto pour violon emporté par l’archet si lyrique de Pinchas Zukerman – le premier de ses trois enregistrements de l’œuvre, son meilleur probablement d’abord par l’accompagnement si émouvant que lui tresse son ami –, Enigma ciselées, la série se couronne avec les plus belles Sea Pictures enregistrées depuis celles de Janet Baker et de Barbirolli où Yvonne Minton déclame et rêve, puis coda, avec la publication très différée du remake en 1970 du Concerto pour violoncelle à Philadelphie avec Jacqueline du Pré qui ne paraîtra qu’en 1976 alors qu’elle avait cessé de jouer depuis trois ans.
Deux séries majeures, celle des Concertos de Beethoven où Arthur Rubinstein semble retrouver tout sa verdeur au contact du jeune homme, et les Concertos pour violon de Mozart que Barenboim accompagne divinement pour son cher Pinchas Zukerman.
La saga se poursuivra avec l’Orchestre de Paris, disques inégaux dont il faut sauver les Escales d’Ibert, en tous cas les Berlioz (Harold en Italie avec Zukerman, un magique Chasse Royale et Orage des Troyens, les pages symphoniques de Roméo et Juliette), série qui se complètera avec moins de bonheur chez Deutsche Grammophon.
À compter des années 80, Barenboim sera partout, à Vienne, à Berlin surtout pour des Schubert trop oubliés : la jeunesse enfuie, les projets fous abandonnés, CBS resta fidèle à cette part de son art qu’elle avait accompagné à ses débuts, sans pourtant lui refuser de retourner à son piano : une nouvelle intégrale des Concertos de Beethoven, les Brahms avec un autre ami de toujours, Zubin Mehta. Et avec Perlman, les trois Sonates et le Trio avec cor (Dale Clevenger, magique !) comme gravés dans le marbre : le portrait était complet, le voici rassemblé.
LE DISQUE DU JOUR
Daniel Barenboim
A Retrospective – The Complete Sony Recordings
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 61
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ut majeur, Op. 15 (3 versions)
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en si bémol majeur, Op. 19
Concerto pour piano et orchestre No. 3 en ut mineur, Op. 37
Concerto pour piano et orchestre No. 4 en sol majeur, Op. 58
Concerto pour piano et orchestre No. 5 en mi bémol majeur, Op. 73 « L’Empereur »
Symphonie No. 7 en la majeur, Op. 92 (2 versions)
Alban Berg (1885-1935)
Kammerkonzert, pour piano, violon et 13 instruments à vent
3 Orchesterstücke, Op. 6
5 Orchesterlieder nach Ansichtskartentexten von Peter Altenberg, Op. 4
Hector Berlioz (1803-1869)
Te Deum, Op. 22
Harold en Italie, Op. 16
Chasse royale et Orage (extrait de l’opéra « Les Troyens »)
Roméo et Juliette, Op. 17 – Fragments symphoniques
Symphonie fantastique, Op. 14
Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ré mineur, Op. 15
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en si bémol majeur, Op. 83
Sonate pour violon et piano No. 1 en sol majeur, Op. 78 (2 versions)
Sonate pour violon et piano No. 2 en la majeur, Op. 100 (2 versions)
Sonate pour violon et piano No. 3 en ré mineur, Op. 108 (2 versions)
Trio pour cor, violon et piano en mi bémol majeur, Op. 40
Emmanuel Chabrier (1841-1894)
España
Ernest Chausson (1855-1899)
Poème pour violon et orchestre, Op. 25
Claude Debussy (1862-1918)
Prélude à l’après-midi d’un faune
Sir Edward Elgar (1857-1934)
Symphonie No. 1 en la bémol majeur, Op. 55
Symphonie No. 2 en mi bémol majeur, Op. 63
Falstaff – Étude symphonique en ut mineur, Op. 68
Cockaigne Overture, Op. 40 « In London Town »
Pomp and Circumstance, Marches Nos. 1-5, Op. 39
Crown of India, Op. 66 – Suite
Imperial March, Op. 32
Chanson de matin, Op. 15 No. 2
Chanson de nuit, Op. 15 No. 1
Sérénade pour cordes en mi mineur, Op. 20
Elegy pour cordes, Op. 58
Salut d’amour, Op. 12
Romance, pour basson et orchestre, Op. 62
Carissima
Rosemary
Sospiri, Op. 70
Concerto pour violon et orchestre en si mineur, Op. 61
Concerto pour violon et orchestre en mi mineur, Op. 85
Variations sur un thème original, Op. 36 « Enigma »
Sea Pictures, Op. 37
In the South (Alassio), Op. 50
Gabriel Fauré (1845-1924)
Berceuse, Op. 16
Jacques Ibert (1890-1962)
Escales
Gustav Mahler (1860-1911)
Lieder eines fahrenden Gesellen (4 Lieder)
Des Knaben Wunderhorn (version 1899)
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour violon et orchestre No. 1 en si bémol majeur, K. 207
Concerto pour violon et orchestre No. 2 en ré majeur, K. 211
Concerto pour violon et orchestre No. 3 en sol majeur, K. 216
Concerto pour violon et orchestre No. 4 en ré majeur, K. 218
Concerto pour violon et orchestre No. 5 en la majeur, K. 219 « Turkish »
Sinfonia concertante pour violon, alto et orchestre en mi bémol majeur, K. 364
Concertone en ut majeur pour deux violons et orchestre, K. 190
Rondo pour violon et orchestre en si bémol majeur, K. 269
Rondo pour violon et orchestre en ut majeur, K. 373
Adagio pour violon et orchestre en mi majeur, K. 261
Ignaz Joseph Pleyel (1757-1831)
Symphonie en si bémol majeur, Ben. 1493
Maurice Ravel (1875-1937)
Daphnis et Chloé – Suite No. 2
Joaquin Rodrigo (1901-1999)
Concierto de Aranjuez
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Concerto pour violon et orchestre No. 3 en si mineur, Op. 61
Arnold Schoenberg (1874-1951)
Pelleas und Melisande, Op. 5 (Poème symphonique)
Pierrot lunaire, Op. 21
Franz Schubert (1797-1828)
Symphonie No. 1 en ré majeur, D. 82
Symphonie No. 2 en si bémol majeur, D. 125
Symphonie No. 3 en ré majeur, D. 200
Symphonie No. 4 en ut mineur, D. 417 « Tragique »
Symphonie No. 5 en si bémol majeur, D. 485
Symphonie No. 6 en ut majeur, D. 589
Symphonie No. 8 en si mineur, D. 759 « Inachevée »
Symphonie No. 9 en ut majeur, D. 944 « Grande »
Rosemonde, musique de scène (3 extraits : Ouverture, Entracte No. 3, Ballettmusik)
Sonatine pour violon et piano en ré majeur, D. 384
Sonatine pour violon et piano en la mineur, D. 385
Sonatine pour violon et piano en sol mineur, D. 408
Grand Duo pour violon et piano en la majeur, D. 574
Fantaisie pour violon et piano en ut majeur, D. 934
Rondo brillant en si mineur, D. 895
Carl Stamitz (1745-1801)
Sinfonia concertante en ré majeur pour violon, alto et orchestre
Richard Strauss (1864-1949)
Concerto pour hautbois et orchestre en ré majeur, TrV 292
Le Bourgeois Gentilhomme (Der Bürger als Edelmann), Suite, Op. 60, TrV 228c
Sinfonia domestica, Op. 53, TrV 209
Burleske pour piano et orchestre en ré mineur, TrV 145
Piotr Ilitch Tchaikovski (1840-1893)
Symphonie No. 4 en fa mineur, Op. 36
Heitor Villa-Lobos (1887-1959)
Concerto pour guitare
Neujahrskonzert in Wien 2014
Daniel Barenboim, piano, direction
Saschko Gawriloff, violon
Isaac Stern, violon
Itzhak Perlman, violon
Pinchas Zukerman, violon, alto
Jacqueline Du Pré, violoncelle
Neil Black, hautbois
Martin Gatt, basson
John Williams, guitar
Arthur Rubinstein, piano
Peter Frankl, piano
Yvonne Minton, soprano
Dietrich Fischer-Dieskau, baryton
London Philharmonic Orchestra
New York Philharmonic
Berliner Philharmoniker
English Chamber Orchestra
Orchestre de Paris
The Philadelphia Orchestra
Wiener Philharmoniker
Pierre Boulez, direction
Zubin Mehta, direction
Un coffret de 3 DVD et 43 CD du label Sony Classical 889853936328
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Photo à la une : Daniel Barenboim dirige Jacqueline du Pre et l’English Chamber Orchestra, en 1969 – Photo : © DR