Le disque est un révélateur, surtout lorsqu’il rend accessible coup sur coup deux symphonies majeures du XXe siècle italien, toutes deux dans la même tonalité, et je crois bien que l’opus d’Ildebrando Pizzetti enregistré en première mondiale.
L’œuvre de Gino Marinuzzi, à l’instar de celle de Victor de Sabata, a totalement disparu derrière sa réputation de chef d’orchestre. La grande et magnifique symphonie d’orchestre, si inspirée, si finement reliée au foisonnement musical viennois de l’entre-deux-guerres – on pense à Schmidt, Zemlinsky, Mahler – qu’il écrit au cœur de la guerre, en 1943, serait-elle son chef-d’œuvre ? En tous cas son testament musical. Partition foisonnante, d’une puissance suggestive inouïe, dont je n’avais qu’une vague idée tant l’unique version précédente, dirigée par Niksa Bareza (Dynamic) était invertébrée.
Ici, Giuseppe Grazioli fait entendre l’orchestration subtile et stupéfiante, l’imagination des couleurs, le sens des timbres qui créent tout un univers sonore envoûtant. Cet orchestre profond qui chante dans toutes ses strates, aux rythmes complexes et fuyants n’avait alors qu’un alter ego alors, celui de Georges Enesco : il aurait pu écrire les sortilèges divagants du Roumain.
Face à cette partition majeure, la Suite sicilienne (1909), œuvre d’un jeune homme, est seulement habilement troussée, même si on y devine les audaces de langage qui ne se révèleront que dans la Sinfonia, Palla de’ Mozzi ou le magnifique Preludio e Preghiera, son opus ultime.
En écoutant la grande Symphonie composée par Ildebrando Pizzetti en 1940 pour commémorer le 2600ème anniversaire de l’accession au trône du premier Empereur du Japon – Britten écrivit, lui, pour cette circonstance sa Sinfonia da Requiem -, comment ne pas saisir dès le sombre premier mouvement, hanté par des sonneries de clairon, l’écho du conflit qui déchire l’Europe ?
L’œuvre est sombre, spectrale, est-ce parce que l’excellent Damian Iorio, né à Londres, y a fait toutes ses études de musique, mais en bien des endroits, l’orchestre de Pizzetti n’est pas sans évoquer celui de Vaughan Williams, et en particulier sa 5e Symphonie. Musique entêtante, d’une sombre poésie tout du long, probablement ce que le compositeur aura écrit de plus noir, de plus concentré, et auquel le Concerto pour harpe, tout en lumière, fait un contraste saisissant.
Refermant les deux albums me reviennent en mémoire les stupéfiantes symphonies de Casella. Nul doute que celles de Pizzetti et de Marinuzzi en soint les enfants légitimes.
LE DISQUE DU JOUR
Gino Marinuzzi (1882-1945)
Symphonie en la majeur
Suite siciliana
Orchestra Sinfonica di Milano Giuseppe Verdi
Giuseppe Grazioli, direction
Un album du label Decca 4815423
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Ildebrando Pizzetti (1880-1968)
Symphonie en la majeur
Concerto pour harpe
Margherita Bassani
Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI
Damian Iorio, direction
Un album du label Naxos 8.573613
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Photo à la une : Le chef d’orchestre Giuseppe Grazioli – Photo : © Nora Roitberg