Un premier volume Debussy dirigé par Lan Shui m’avait tiré l’oreille : La Mer, les Images y resplendissaient dans des couleurs argentées, fluides, vives, poésie d’orchestre surprenante à laquelle manquait simplement le feu sacré d’un Munch où la vigueur d’un Monteux.
Deux ans plus tard, leur second disque Debussy est cette fois imparable, par le programme d’abord : trois ballets couplant aux énigmes de Jeux, les rares Khamma (ouvragé par Koechlin) et La boîte à joujoux (dont l’orchestre est quasi entier de la plume de Caplet).
Jeux m’enivre, preste, souple comme une liane, un danseur absolument, d’une fluidité, d’une sensualité qui couperait comme la lame d’un rasoir ; Debussy aurait-il jamais rêvé de pouvoir entendre son texte si elliptique avec une telle précision dans le mouvement, les timbres, les accents, et jusque dans les suspensions où il dilate si adroitement le temps ? Ainsi parfaitement exposé, Jeux devient le vrai manifeste de l’orchestre moderne loin devant les bruits du Sacre du printemps.
Même degré de précision fanatique pour Khamma, contemporain de Jeux et son frère d’abîme dont Koechlin assura le sombre orchestre sous l’œil de Debussy, trop occupé au Martyre de D’Annunzio. Lan Sui éclaire tout, déroule la pantomime, l’action anime une musique que même Jean Martinon, malgré ses intuitions, peinait à peindre, et l’on trouve d’un coup que Khamma n’est pas loin d’être une partition majeure du dernier Debussy.
Pour La boîte à joujoux, fantaisie délicieuse, Lan Shui lisse son orchestre, le fait rêver, ouvre un livre de conte où le merveilleux le dispute à l’humour tendre. Et quelle poésie désolée pour les pages si émouvantes de La Bergerie à vendre.
Disque magnifique, qui augure bien de la suite de cette intégrale hors du commun dotée d’une prise de son fabuleuse.
LE DISQUE DU JOUR
Claude Debussy (1862-1918)
Jeux, poème dansé, L. 126
Khamma, L. 125
La Boîte à joujoux, L. 128
(version orchestrale)
Singapore Symphony
Orchestra
Lan Shui, direction
Un album du label CD/SACD BIS 2162
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Photo à la une : © DR