Cette parution est un véritable événement. Cette rubrique ne suffirait à décrire le poids historique et la qualité musicale d’une telle réalisation. Sergiu Celibidache a été incontestablement un des plus grands chefs-d’orchestre du XXe siècle. Il est né en Roumanie il y a à peine plus de cent ans. Sa notoriété moindre que d’autres géants (Karajan, Solti, Kleiber, Furtwängler), vient de l’absence totale d’enregistrements officiels, Celibidache ayant horreur du disque.
Les témoignages qu’il nous reste sont exclusivement des enregistrements de concerts. Son dédain pour l’enregistrement vient très naturellement de sa conception de la musique et du son : une lecture « horizontale » de la musique qui fait ressortir l’architecture de l’œuvre, mais avant tout une attention portée « verticalement » au son instantané lui-même, qui demandait des équilibres très sophistiqués des pupîtres et un temps de répétition important, pour s’adapter aux différentes acoustiques.
Et naturellement des tempos qui permettent au son de s’épanouir comme il le souhaitait, donc dépendant de l’acoustique de la salle. Cette description très simplifiée de ce qui était en fait une vision quasi-mystique du rôle de l’interprète permet de comprendre pourquoi la possibilité de reproduction illimitée d’un événement unique, et encore plus celle d’un enregistrement avec une dégradation inévitable du son entre le concert original et le disque, sont des notions aux antipodes de la vision de Celibidache de la musique. Le documentaire joint en bonus au DVD est passionnant, montrant comment Celibidache assimile rationalité (des études poussées de mathématiques, de physique, d’acoustiques et d’harmonie) et subjectivité.
Mais la vision de Celibidache serait anecdotique si elle ne s’accompagnait pas d’une sublime capacité d’interprétation musicale. Certains enregistrements publics sont les perles des discothèques des connaisseurs (essayer de trouver ses Tableaux d’une exposition, orchestrés par Ravel, c’est proprement inouï). Mais le compositeur pour lequel Celibidache est reconnu comme incontournable est Anton Bruckner. Ce compositeur autrichien laissa à sa mort une dizaine de symphonies (seules neuf sont officiellement numérotées, comme chez Beethoven, Schubert, Dvořák, Mahler), un Te Deum et trois Messes.
Ses symphonies, toutes sur la même structure (héritée de Beethoven), développent une orchestration wagnérienne assez impressionnante. Des œuvres monumentales, clairement adaptées au « système » Celibidache. La Septième Symphonie, créée en 1884, est considérée comme une des plus belles, surement celle par laquelle il faut commencer sa découverte de l’univers brucknérien. Plusieurs enregistrements publics de Celibidache circulent des symphonies de Bruckner (notamment une 9e, à Munich, EMI/Warner, version de référence), tous marqués par des tempos très amples, et une tension très forte. Mais rien qui n’atteigne la force de cet enregistrement.
L’Orchestre Philharmonique de Berlin est naturellement un des meilleurs orchestres au monde, certains disent le meilleur. Celibidache en fut le chef principal après la guerre, à une époque où Wilhelm Furtwängler attendait en Suisse sa dénazification. Au retour de Furtwängler, Celibidache continua à diriger Berlin, mais lorsqu’en 1955, Karajan en devint le chef (à vie !), Celibidache ne dirigea plus jamais ici. Jusqu’à cette soirée d’avril 1992, trente-huit ans plus tard, pour ce concert miraculeusement conservé, et unique.
Ce DVD permet de retrouver tout cela : un événement historique, un chef mythique qui n’avait plus dirigé cet orchestre phénoménal depuis près de quarante ans, un son formidable, chaud et épanoui, travaillé pendant des répétitions innombrables, rendu clair par des tempos d’une ampleur record (une heure pour les seuls deux premiers mouvements !) et restitué magnifiquement en Haute-Définition sur ce DVD (préférez le Blu-Ray, encore mieux défini, son restitué en 24 bits, qualité du SACD). Et l’image, convertie au standard moderne 16/9, fait complètement oublier que l’on regarde une archive réellement historique.
LE DISQUE DU JOUR
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 7 en mi majeur, WAB 107
Berliner Philharmoniker
Sergiu Celibidache, direction
Un DVD/Blu-Ray du label EuroArts 2011404
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Photo à la une : © DR