Écrivant son Premier Concerto, Sergei Profofiev avait dans l’oreille la sonorité ailée, la chanterelle flûtée de Pavel Kochanski, qui inspira aussi le violon funambule du Premier Concerto de Karol Szymanowski. Une fois le compositeur installé en Union Soviétique, le Premier Concerto, mais en fait toute sa musique de violon, fut repris par David Oïstrakh, qui y imposa son plein archet rayonnant. Quelque chose du faune Kochanski, consubstantiel à ces musiques, s’en trouva évaporé.
Je le retrouve aujourd’hui dans l’archet fantasque de Vadim Gluzman, qui sait jouer de la flûte lorsque le violon doit rêver et se suspendre, mais mordre aussi, sforzandos rageurs, accents abrupts, pizzicato de guzla, son violon a un côté tambourin, il est capable de la plus grande finesse, d’un délicatesse ailée, puis incontinent d’une sauvagerie incandescente.
Avec l’orchestre fuligineux que lui tresse Neeme Järvi, toujours chez lui chez Prokofiev, Vadim Gluzman retrouve le ton original des deux Concertos, les remet dans le grand concert moderne de l’entre deux-guerres, et pour le second, son archet prend justement du poids, Prokofiev l’avait composé pour Robert Soetens, représentant somptueux de l’école d’Ysaÿe.
Et quelle leçon de musicalité pour les unissons de la Sonate pour violon seul que Prokofiev écrivit en 1947 à l’intention des élèves du Conservatoire de Moscou.
Deux années avant d’enregistrer les Concertos, Vadim Gluzman avait gravé les Sonates avec le piano évocateur d’Angela Yoffe. Je remets le disque dans la platine, et soudain je réalise que sa lecture drastique de la Première Sonate, un des opus les plus radicaux écrits par Prokofiev, commencée au portes de la Seconde Guerre mondiale, tient du génie, qu’il y est aussi éloquent que Gidon Kremer. Et comment parvient-il à changer la nature même de la sonorité de son violon pour évoquer dans la Deuxième Sonate les timbres de la flûte pour laquelle elle fut originellement écrite ? Et comment fait-il pour, dans les trois pièces tirées de Roméo et Juliette, montrer à la fois les danseurs, et l’action. Masques est fabuleux.
LE DISQUE DU JOUR
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Concerto pour violon et
orchestre No. 1 en ré majeur,
Op. 19
Concerto pour violon et
orchestre No. 2 en sol mineur,
Op. 63
Sonate pour violon seul en ré majeur, Op. 115
Vadim Gluzman, violon
Orchestre Symphonique National d’Estonie
Neeme Järvi, direction
Un album SACD du label BIS2142
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Sergei Prokofiev (1891-1953)
Sonate pour violon et piano No. 1 en fa mineur, Op. 80
Sonate pour violon et piano No. 2 en ré majeur, Op. 94bis
3 Pièces de Roméo et Juliette, Op. 64 (arr. pour violon et piano : D. Grjunes – Danse des chevaliers, Masques, etc.)
Vadim Gluzman, violon
Angela Yoffe, piano
Un album SACD du label BIS 2032
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Photo à la une : © Marco Borggreve