Erwin Schulhoff, l’enfant terrible de la musique tchèque, juif, homosexuel, communiste, pur produit de cette Europe cosmopolite de l’Entre deux-guerres, fit son miel de toute les combinaisons instrumentales possibles, mais revenant à ce strict appareil qu’est le quatuor, son invention n’en fut que plus effrontée.
Les Cinq Pièces de 1923, suite de pastiches savoureux, épicés, grinçants, n’auraient pas été désavouées par Hindemith ; même avec leurs parfums balkaniques, il sont les purs produits de la République de Weimar, mais une année plus tard, le Premier Quatuor, si alerte, qui persiffle mais surtout mord, est comme pénétré par une lumière très Tatras, de la musique populaire d’Europe centrale revisitée, entre Szymanowski et Bartók, comme si soudain Schulhoff prenait conscience d’un « territoire musical » dont il était l’enfant absolument, en dehors de tout courant stylistique. Puis, il dissoudra cet opus génial dans une sorte d’indolence inquiète : cet Andante sostenuto, entre chien et loup, contient vraiment des pages prodigieuses.
Les Petersen pour Capriccio avaient laissé des gravures acides de ces deux opus, toutes en muscles, alors que les Vogler les replacent dans le grand concert européen de la modernité folle des années vingt. C’est très bien vu, joué avec un luxe de phrasés, d’accents, de rythmes qui rappelle à quel point les quatre garçons qui n’ont jamais défait leur quatuor ont su développer un style si percutant et si lyrique à la fois.
Frank Reinecke et Stephan Forck y ajoutent les Duos pour violon et violoncelle de 1925, pièces de pure fantaisie où des chats miaulent, où des Tziganes dansent, où traînent des nuits blanches, poésies à écouter sans modération.
LE DISQUE DU JOUR
Erwin Schulhoff (1894-1942)
Quatuor à cordes No. 1 (1924)
Duo pour violon et violoncelle (1925)
5 Pièces pour quatuor à cordes (1923)
Vogler Quartett
Un album du label Klassik aus Berlin PHIL0616
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Photo à la une : © Marco Borggreve