Les correspondances entre musique et littérature, leur collaboration intime ont trop longtemps détourné l’attention des mélomanes d’un autre miroir tendu au papier réglé : la peinture s’est emparée très tôt de la musique, attribut des Dieux de l’Antique comme des pratiques intimes, un élément de décor qui deviendra vite le sujet d’une émotion. C’est Orphée, qui en peinture donne à voir la puissance de la musique, c’est David, la Renaissance, l’âge classique, le baroque s’emparent avec la palette du pouvoir des notes, quasi divin.
« Voir la musique », titre de l’ouvrage monumental que Florence Gétreau publie chez Citadelles & Mazenod est bien une réalité, qui, les temps modernes venant, conduira le spectateur de tableaux de plus en plus dans l’intime, des boudoirs avec mandoline de Fragonard, des escapades galantes de Watteau où la musique s’unifie avec une telle évidence aux suggestions du paysage, aux salons des Impressionnistes où le piano accorde son noir et blanc à la liberté d’un nuancier qui entend faire vibrer l’atmosphère comme vibrent les résolutions des notes.
Plutôt qu’un axe chronologique, qui aurait lissé le propos et laissé de côté la persistance de certaines thématiques structurant les rapports multiples musique/peinture, Florence Gétreau propose d’entrer dans ce continent discontinu par cinq angles de vues (dont les deux premiers, « Mythes » puis « Religion » forment tout de même un socle daté et permettent la mise en place d’une perspective historique qui s’imposera ensuite dans chaque partie), fouillant toutes les opportunités que trouve la peinture pour entreprendre sa quête musicale, car c’est elle la prédatrice.
L’ultime volet sonde avec des bonheurs de langage, une intelligence des mises en regards qui n’eussent pas déplu à Vladimir Jankélévitch, la confusion heureuse des deux sens, l’ouïe et la vue « œil intérieur et sonorité visuelle ». Wagner en fut l’apôtre, Florence Gétreau fouille avec une intelligence confondante les rapports de plus en plus rapprochés entre notes et couleurs au cours de la première moitié du XXe siècle, culminant avec virtuosité dans les miroirs évidents qui reflètent l’abstraction et les nouvelles musiques à compter de l’apparition de la Seconde École de Vienne.
L’ouvrage est en soit évidemment une œuvre d’art comme toujours chez Citadelles & Mazenod, avec cette tentation délicieuse d’une exhaustivité fantasmée qui nous vaut 416 pages d’émerveillement visuel. Mais attention, n’oubliez pas que ce cadeau idéal pour le Noël 2017 doit d’abord se lire avant de revenir le feuilleter pour le plaisir insatiable du regard.
LE DISQUE DU JOUR
Florence Gétreau
Voir la musique
416 pages
335 illustrations couleurs
Un ouvrage de la maison
Citadelles & Mazenod
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Photo à la une : © DR