Lumière et ténèbres

19421954, les Symphonies de Martinů auront connu deux guerres – la conquête nazie et la guerre froide – elles furent toutes des œuvres d’exil paradoxalement heureuses d’abord : l’Atlantique franchi, le compositeur tchèque se trouva, à l’égal de son ami Alexandre Tansman, dans le tourbillon artistique de la vie musicale nord-américaine.

Artur Rodzinski, George Szell, Koussevitzky lui-même, puis Charles Munch créérent ses œuvres, le fournissant en commandes : sa plume courait littéralement le papier à musique, avec une sorte d’ivresse dont les deux premières symphonies témoignent : tout y est danse, tout y découle du plus évident idiome tchèque, et Cornelius Meister les dirige sans ombre, d’un geste preste, ordonnant son orchestre à la parade : tous jouent en relevant le menton, magnifique !, autant que ce qu’en faisait entendre Bryden Thomson et ses Ecossais, même si les Viennois, de timbres, d’accents se coulent plus naturellement dans les replis rythmiques de ces musiques.

Mais il faut voir l’envers, qui vient dès la tragique 3e Symphonie, partition hantée, nuit et brouillard, et ce qu’y produit Meister glace le sang. Il comprend qu’au cœur de la guerre, Martinů vient de saisir l’horreur du conflit, et dirige ses trois mouvements hiératiques comme un vaste thrène, rappelant soudain les couleurs de ce nocturne qu’est le Largo de la Première Symphonie.

Le chef-d’œuvre de la série peut venir, cette 4e où pour la dernière fois, Martinů reprend les ostinatos rythmiques et d’autres procédés d’écriture hérités de son mentor Albert Roussel, en creusant plus encore la poétique de son orchestre, et là, pardon Turnovský, Ansermet, Thomson, Neumann, Bělohlávek (trois fois), Cornelius Meister en signe la plus grande version, épique, amère, brillante mais mortifère pourtant, et son orchestre s’y surpasse.

Les fantômes des deux dernières symphonies, surtout les spectrales Fantaisies symphoniques de 1954, sonnent avec leurs harmonies de crépuscule comme rarement, Cornelius Meister les faisant entrer dans le grand concert des années cinquante où tout se délite.

Quelle intégrale d’une sombre splendeur ! Et maintenant, le jeune chef autrichien nous doit les Fresques, les Paraboles, les Estampes, La Jolia, les Ricercari.

LE DISQUE DU JOUR

Bohuslav Martinů (1890-1959)
Symphony No. 1, H. 289
Symphony No. 2, H. 295
Symphony No. 3, H. 299
Symphony No. 4, H. 305
Symphony No. 5, H. 310
Symphony No. 6, H. 343, “Fantaisies symphoniques”

ORF Vienna Radio Symphony Orchestra
Cornelius Meister, direction

Un coffret de 3 CD du label Capriccio C5320
Acheter l’album sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : © Lukas Beck