Je ne sais quelle tendre connivence me rapproche des nostalgies du Concerto de Scriabine depuis que je l’ai découvert sous les doigts de Vladimir Ashkenazy, contrariant l’opinion de mon professeur de piano qui n’y voyait qu’un « mollusque ». Mais justement, Ashkenazy donnait une charpente à sa continuelle élégie, et j’en retrouve aujourd’hui le ton, les longs phrasés, le toucher ailé dans le piano si simple qu’y met Kirill Gerstein.
Il le joue absolument comme un concerto classique, le « déromantise » en quelque sorte pour faire entendre par-delà la confidence mélancolique une tension sourde, quelque chose de plus dramatique qu’à l’habitude. Mais lorsqu’il faut aller chanter tel un oiseau sirine, il chante avec une grâce, des allégements, comme si une soprano jouait sous ses doigts. C’est modelé par l’émotion, mais tenu toujours dans ce commentaire subtil, attentif, élégant que lui tisse Vasily Petrenko et ses musiciens norvégiens.
Décidément, c’est à Oslo que le jeune chef russe a trouvé son équilibre, cet orchestre est d’une beauté si particulière, ses flûtes sentent la résine de boulot, ses cordes ont quelque chose d’une fine couche de glace où joue la lumière, pour le Concerto c’est une dentelle, et pour la Deuxième Symphonie, débarrassée de ses pompes par la battue sans emphase du chef, une voix équivoque, entre célébration mystique et chant panthéiste, avec à nouveau un magique concert d’oiseaux sirine dans la rêveuse forêt de l’Andante central.
Second volume parfait d’une intégrale du Scriabine symphoniste qui me rend impatient d’entendre l’ultime : pensez un peu, la Première Symphonie et Prométhée, où j’espère retrouver Kirill Gerstein.
LE DISQUE DU JOUR
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Symphonie No. 2, Op. 29
Concerto pour piano et orchestre, Op. 20
Kirill Gerstein, piano
Orchestre Philharmonique d’Oslo
Vasily Petrenko, direction
Un album du label LAWO Classics LWC1139
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Photo à la une : © Tarlova